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«On ne médite pas que pour soi»

La Dre Dominique Cassidy exerce au Centre Présence qu’elle a créé à Bramois (VS). Elle y pratique la psychiatrie-psychothérapie et y transmet aussi la méditation. D’autres soignantes y proposent massages, hypnose, coaching, naturopathie, soins énergétiques,etc. On la rencontre dans ce centre de médecine intégrative, quelques jours après son retour d’Inde.

Vous venez de passer trois mois dans un ashram sur les contreforts de l’Himalaya. Les retraites, vous faites ça souvent?

Dre Dominique Cassidy J’ai toujours vécu ces périodes de retrait. Mon premier séjour en Inde, c’était à la fin de ma première année de médecine et quelque chose s’est passé en moi. Comme un appel. Pas encore spirituel: j’étais athée. Pour moi, Dieu était l’opium du peuple. J’étais une scientifique matérialiste et individualiste. Puis pendant mes études, alors que je cherchais à pratiquer un sport, on m’a conseillé l’aïkido. Mon cheminement a commencé avec cet art martial très spirituel, que j’ai enseigné –je suis 4edan. Donc oui, chaque année je ferme mon cabinet plusieurs mois et je fais une retraite avec de longues périodes de silence. Cet hiver, pour la première fois, je n’ai fait que méditer. Jusque-là, je partais cinq mois mais je méditais et dans le même temps je travaillais comme bénévole dans le centre de soins palliatifs qui dépend du petit ashram de l’Uttarakhand, dans le nord de l’Inde, où je pratique.

 

Vous rentrez dans quel état d’esprit d’une telle retraite? Il y a un avant et un après?

J’observe que cette différence s’atténue avec les années. J’ai de moins en moins l’impression de quitter l’ashram quand je reviens à Bramois. Le Centre Présence, c’est mon monastère! Le quotidien est une manifestation du silence. Les deux ne sont pas séparés.

 

Ce silence vous cherchez aussi à le recréer dans votre quotidien de médecin?

Oui, bien sûr! De la même manière que je mange trois fois par jour et que je dors chaque nuit, je le pratique au minimum deux fois par jour. Le matin, je consacre 1h30 à la méditation, la lecture, la récitation de textes. L’après-midi et le soir, ça dépend de mon besoin et de ma disponibilité. Ces moments de retrait me sont indispensables pour rester disponible à mes patients et à la vie. Mais c’est aussi une joie. Tous les deux mois, je bloque aussi dans mon agenda une retraite de trois ou quatre jours, la plupart du temps dans des couvents ou des monastères. J’y suis entourée de personnes qui ont comme priorité de cultiver la paix et comme unique ambition d’aimer cette paix. Je m’y sens à la maison.

 

Cette paix, infine, elle sert à quoi?

Elle sert à agir dans un monde malade. On est tous reliés, donc on éprouve tous la souffrance générée par les conflits, par l’état de la Planète, par l’accélération de nos modes de vie et des exigences sociales,etc. Même si on n’en a pas conscience, on vit dans cette vibration humaine. Or, aujourd’hui, elle est telle qu’il faut de moins en moins de stimulus pour nous affecter.

 

Vous le constatez dans votre cabinet?

Oui, bien sûr. Les dépressions sont de plus en plus nombreuses. La souffrance psychique des jeunes augmente. Ça s’est accéléré avec le Covid mais je le vois depuis une dizaine d’années. De nombreux patients me disent se sentir étrangers à ce monde global. Il y a quelque chose qui s’emballe et ça nous fragilise tous, même inconsciemment. Ce décalage crée un sentiment d’aliénation, d’impuissance, de révolte ou de résignation. D’ailleurs, à un moment de la thérapie, je leur dis: «Ce qui vous amène ici n’est pas que votre histoire personnelle.» Ils sont soulagés que ce soit «notre problème» et pas uniquement le leur. La question se pose de savoir ce que l’on ingurgite de ce monde-là: maintenir une certaine présence à ce qui se passe en soi permet de ne pas se faire aspirer.

 

La méditation vous permet de cultiver cette présence, est-ce que vous prescrivez aussi cette pratique à vos patients comme vous le feriez pour un médicament?

Oui, je leur propose d’en faire l’essai. La recherche scientifique sur les troubles anxieux, le sommeil, la gestion du stress, la prévention du burnout, documente avec évidence les bénéfices de la méditation. En cas de trouble dépressif récurrent, les études ont montré que la méditation est aussi efficace que le traitement habituel (psychothérapie +médication). Elle peut donc être prescrite à la place. Mais je prends aussi en compte le mode de vie et les ressources de la personne: pour certaines, la marche ou la musique sont leur pratique méditative. Ce n’est pas la majorité mais il arrive qu’en fin de thérapie, certains patients rejoignent un groupe de méditation –gratuit– que j’anime.

 

Il y a des contre-indications à la méditation?

Oui, les crises aiguës, qu’il s’agisse d’une profonde déprime ou d’une décompensation psychotique. Au pic de l’intensité il ne faut surtout pas demander à la personne de fermer les yeux et se concentrer sur le chaos qu’elle perçoit en elle! Là, j’opte plutôt pour le yoga nidra, une pratique de relaxation basée sur le souffle et le déplacement très rapide de l’attention. C’est très dynamique et cadrant pour le patient.

 

Comment assurez-vous le suivi thérapeutique de vos patientes et patients avec un cabinet fermé tous les hivers?

Je ne propose que des thérapies brèves, sur quelques semaines ou quelques mois. C’est quelque chose dont je parle avec mes patients au premier téléphone, et j’évalue si ce que je leur propose est adapté à leur besoin. Sinon, je leur propose de chercher un psychiatre qui consulte en continu.

 

La méditation est surtout entrée dans le monde de l’hôpital via les travaux de Jon Kabat-Zinn et le MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), une approche laïque de la pleine conscience qui vise à réduire le stress. En vidant ainsi la méditation de sa substance spirituelle, ne risque-t-on pas de l’instrumentaliser et de lui enlever de sa force?

Oui et non. La méditation laïque, c’est mieux que pas de méditation du tout. Même si on la pratique pour gérer son stress, il se passe quelque chose qui est bon. Se sentir régénéré, faire de la place en soi pour la paix, développer la capacité à aimer, ça a un impact positif. Cette approche laïque était indispensable pour entrer à l’hôpital et pour mener des programmes de recherche. Mais depuis 2005, l’OMS reconnaît la spiritualité comme une des dimensions humaines, au même titre que les aspects biologique, psychologique et social. Donc oui, si on se contente de pratiquer la méditation pour le bien-être, on est en train de planter un clou avec un diamant.

«La méditation est une pratique (une démarche progressive d’apprentissage), mais c’est aussi une expérience (la rencontre avec soi, l’infini, Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne) et une manière de vivre (cet ancrage implique des choix et déplace les priorités).»

Ce diamant, c’est une thérapie?

La plupart des personnes viennent ici car elles souffrent. Or, travailler avec son esprit pour ne plus souffrir, on peut appeler ça de la thérapie. Mais on peut aussi appeler ça du bouddhisme. Le processus de méditation amène à s’ouvrir à d’autres questions. Cette paix que m’amène la pratique, c’est quoi? Qui est ce «je» qui est là quand je ne pense pas? Formulé autrement, qu’est-ce que «cette présence que je suis», qui perdure même quand il n’y a pas de pensées? La méditation est une pratique (une démarche progressive d’apprentissage), mais c’est aussi une expérience (la rencontre avec soi, l’infini, Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne) et une manière de vivre (cet ancrage implique des choix et déplace les priorités). Elle change donc ma manière d’être au monde.

 

C’est en ce sens que vous dites «On ne médite pas pour soi»?

Exactement. Sans même parler d’un éventuel impact énergétique, auquel on croit ou non, cette pratique crée un espace en nous qui nous rend plus disponible, plus patient avec les personnes qui nous entourent. En méditant, on cultive la paix et ça, c’est une action très concrète et profonde. Dans notre monde malade, ça la même portée que militer dans la rue.

 

Vous intervenez au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) auprès des soignantes et des soignants pour prévenir le burnout. L’hôpital est-il malade?

C’est notre société qui est malade, pas que l’hôpital. Les professionnels du soin sont plus impactés car ils sont en contact avec la souffrance. Pour eux, il n’y a pas que la question du stress et de l’anxiété, mais aussi celle du sens. Revenir au moment présent n’est donc pas suffisant: au CHUV, je propose aussi une réflexion sur la gratitude, le contentement et l’inspiration pour notre travail.

 

Il y a certes des études scientifiques, mais comment savoir si la méditation est efficace pour soi?

En observant les changements. Je conseille aux personnes que j’accompagne de se poser les questions que, n’ayant pas de maître, je me suis longtemps posées pour moi-même: Est-ce que je ressens plus de paix quand je suis seule? Plus d’amour quand je suis avec les autres? Plus de beauté quand je regarde? Plus de sagesse quand je parle? Si l’un des critères est juste, alors j’avance.

 

Vous avez évoqué un ashram en Inde, votre pratique s’inscrit dans quelle école?

Je m’inscris dans les traditions bouddhistes, surtout tibétain et zen avec l’aïkido,et aussi dans l’hindouisme non dualiste de l’Advaïta védanta. Mais je ne suis ni bouddhiste ni hindoue. J’ai une guide principale, dans ce tout petit ashram au bord du Gange qui accueille cinq ou sept pratiquants, mais je n’ai pas de maître. Chacun y pratique de manière autonome, sans attache spirituelle ni dépendance.

 

Vous vous considérez comme un maître spirituel?

J’espère pas! J’aime mieux l’expression «amie spirituelle» car je suis en chemin. Tout ce que je dis, je l’ai reçu: de maîtres, de textes. Ou du silence. C’est le silence qui est mon maître. Les chrétiens disent qu’il est habité. Plus on y vit, plus on sait que tout vient de là.

«En méditant, on cultive la paix (...). Dans notre monde malade, ça a la même portée que militer dans la rue.»