Bricoler

Mon parcours de patiente à soignante

À 20 ans, j’ai été internée dans un hôpital psychiatrique à la suite de harcèlement sexuel au travail.

À cette époque, jeune et démunie, je me suis rendue aux urgences pour parler de mon mal-être, mon corps commençait à me lâcher, la charge émotionnelle devenant trop lourde. On m’a rapidement assommée avec des traitements, je dirais même que je me suis perdue encore plus une fois là-bas.

Entre piqûre forcée et abus de pouvoir, on comprend très vite que le système est défaillant. On vient chercher de l’aide et on se rend compte que ce n’est pas aussi simple que ça. De diagnostic borderline à dépression, d’antidépresseur à «vous n’êtes pas apte à sortir», mon séjour fut de longue haleine. L’internement fut un combat à lui tout seul. Trois ans plus tard, après ma remise sur pied, j’ai fait un stage en EMS psychiatrique; je voulais voir si, de mon point de vue de patiente, j’avais en quelque sorte été biaisée dans mon jugement. J’ai pu confirmer ce sentiment d’atteinte à l’intégrité morale avec objectivité, en la voyant depuis mon statut de soignante. À ce moment-là, c’était trop dur de me projeter dans le monde des soins, car j’étais trop en colère face à mes constats et je ne voulais pas faire partie de cela. J’ai donc écrit un livre pour raconter mon vécu. En voici quelques extraits.

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«La seule chose importante dans ce genre d’endroit, me dit mon infirmier référant, c’est la confiance entre le patient et sont référant. Sans cela, le temps passé à l’hôpital, les entretiens médicaux et le reste ne mèneront à rien.

Ca y est, je passe ma première nuit loin de tout le monde dans ce nouvel endroit lugubre. Je n’arrive plus à écrire avec mon téléphone, le médicament qu’on m’a donné est beaucoup trop puissant. 

Le lendemain, ma famille est venue me voir, mais je n’arrivais même pas à communiquer avec eux. Ils étaient eux-mêmes perdus. Ils avaient l’impression que je n’étais pas contente de les voir.

Il y a un garçon qui est arrivé juste après moi, tout timide et l’air très gentil. Je ne l’ai pas reconnu lorsque je l’ai vu sortir de sa chambre. Ils l’avaient shooté aux pilules aussi.

La vérité, c’est que tous les gens que j’ai vu arriver après moi n’étaient que mon reflet. Certains sortaient de l’infirmerie et recrachaient les médicaments, quand on ne les obligeait pas à les avaler devant les infirmiers.

Nous étions condamnés. Nous sommes allés chercher de l’aide et bien que ce soit le lieu approprié, la société étant elle-même malade, la technique de guérison ne faisait que nous consommer un peu plus et nous rebeller envers le système.

Quelques mois plus tard… "Solange, autant quand on vous regardait avant, on avait de la pitié pour vous, autant aujourd’hui quand on vous observe, on vous envierait presque." Ces mots sont sortis de la bouche d’un infirmier, un peu… maladroit?! Bien sûr, ce qu’il voulait me dire était positif, mais je ne peux m’empêcher de m’arrêter au mot “pitié”. Peut-être que j’ai changé en bien, oui, je vais mieux, mais je suis et je serai toujours cette personne qui, un jour, a été fragile et désemparée.»

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«Un patient est en crise d’angoisse, car il a des moments de lucidité où il comprend qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer.

– Mais donnez-lui un calmant qu’il la ferme! Lança une infirmière.

J’allai m’occuper de lui, effarée de ce que je venais d’entendre et en même temps peu surprise, en réalité.

Parfois il suffit de vous faire entendre, non pas en criant, non pas en vous montrant plus fort qu’un autre, mais simplement en montrant que vous avez écouté. Vous n’étiez pas là pour faire semblant, vous avez bel et bien entendu, vous ne hochiez pas de la tête par politesse ou pour que la conversation s’arrête. Vous avez réussi, l’espace de quelques instants, à mettre vos propres soucis de côté afin de donner un peu de joie à une personne qui en avait plus besoin que vous. Vous étiez là et vous n’avez pas fait semblant que ça vous touche. Souvent c’est tout ce qu’une personne demande et peu importe dans quel état elle sera, elle remarquera dans les moindres détails la manière dont vous l’écouterez. Cela comptera bien plus que ce que vous pourrez lui répondre. Souvent ces personnes qui remarquent que vous les avez écoutées sont étonnées, parce qu’elles n’ont pas l’habitude?! Non, en effet, elles ne l’ont pas. Elles ont plus l’habitude des regards détournés et des sourdes oreilles qui ne veulent pas se mouiller au malheur.

Nous n’avons pas la réponse à tout, nous n’avons pas toujours le pouvoir d’aider quelqu’un, néanmoins nous avons la capacité d’être là, d’offrir notre attention. Et non, nous ne sommes pas payés pour les supporter, comme diraient certains. Donner cette impression ne ferait qu’empirer leur détresse. Nous sommes là parce que nous avons choisi d’être humains, et parce que nous voulons tenter de rééquilibrer les choses en unissant nos forces. Nous ne les supportons pas, nous sommes là pour donner l’exemple en tant qu’être humain sur cette terre où tout se perd.

J’ai réalisé que ce qui me repousse aujourd’hui ce n’est pas le métier en lui-même, mais plutôt certaines personnes qui y travaillent. C’est d’ailleurs paradoxalement ce qui m’a poussée à faire ce stage, car je voulais, à ma façon, après avoir été du côté du patient, juger si lorsque l’on était patient, on avait automatiquement une mauvaise image du soignant. Je voulais savoir si c’était une image erronée que nous donnait la maladie. Aujourd’hui je peux affirmer que non, ce n’est pas que le trouble. Je ne suis plus malade et je suis du côté des soignants, pourtant j’ai toujours les mêmes sentiments qui me reviennent. Je trouve que la plupart des gens sont superficiels et irrespectueux envers ceux qui souffrent. J’ai du mal à avoir de l’humour lorsqu’il s’agit de souffrance aussi grave. Souvent lorsque la douleur n’est pas physiquement visible, les gens ont tendance à la remettre en question ou à la minimiser. Ils oublient qu’il faut rester humble face à ce que l’on ne peut pas percevoir. J’ai de la peine à être entourée de gens qui n’ont pas de compassion, alors qu’ils ont choisi un métier qui ne demande que ça, du moins au premier abord. Certains diront que trop de miséricorde n’est pas une qualité pour être un bon soignant. Je dirais à l’inverse qu’il s’agit de respect à l’égard de la souffrance de son prochain, une souffrance que personne à part eux ne peut juger. En tant que patient, je peux vous assurer qu’en plus de notre douleur, nous devons nous battre avec ces personnes qui prétendent être là pour nous sauver et qui ne se mettent pas à notre place, tout comme nous devons nous démener afin de trouver la force de faire la différence entre un soignant bienveillant ou non.

 

À l’école, ils nous apprennent le savoir-vivre, parce que très peu en ont spontanément. Comme si c’était quelque chose qui s’enseignait… avoir un cœur et être humble ne s’enseigne pas à travers des bouquins. On m’a reproché de ne pas être assez professionnelle dans mon langage, c’est possible, je n’ai jamais été très douée pour ça. En revanche je sais qu’il y a une chose que certains de mes formateurs n’ont jamais vue et c’est pourtant tout ce qui compte à mes yeux. Ils n’ont pas vu le respect et le cœur que j’y ai mis. Mon cœur lui, a tout vu, il a tout entendu et je lui fais confiance. C’est pourquoi, je ne peux pas avoir de regret. Je ne me considère pas mieux qu’un autre pour autant, je ne prétends pas avoir été parfaite à ce poste. J’ai simplement pu avoir la vision de deux positions extrêmement opposées et je suis triste de pouvoir confirmer ce que je ressentais sur les soignants d’aujourd’hui, mais fière de pouvoir affirmer que je ne veux pas en faire partie.»

 

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Aujourd’hui, à 30ans, je suis prête à m’engager dans les soins, je veux faire la différence et utiliser mon vécu à bon escient.

J’ai encore contact avec mon infirmier référant qui, lui, a toujours agi avec le cœur. C’était le seul qui savait s’y prendre avec moi et je lui en serai éternellement reconnaissante. J’ai également eu la chance d’avoir le soutien de mes proches et de rencontrer de belles personnes tout au long de mon parcours. Je veux dédier ma vie à prendre soin des gens et faire en sorte de bouger les choses. Je crois fermement que tout cela est ma destinée. Mes écrits n’ont qu’un seul but, sensibiliser les gens et mettre en lumière des aspects de notre société qui nous sont malheureusement très souvent cachés. Je terminerai également en disant que la plupart des gens internés sont des personnes très connectées spirituellement. Des personnes qui ne savent pas comment gérer leurs visions ou leurs dons et qui se sont eux-mêmes étiquetées de malades mentales. Au lieu d’essayer d’éteindre leur esprit avec des cachets, nous pourrions leur enseigner à valider leurs ressentis et en faire une force sans les pénaliser ou les qualifier de «fous».