Bricoler

Être à côté, rester debout: la force de l’amour

Choc cataclysmique, ou quand le ciel nous tombe sur la tête. Il y a vingt ans, à trois mois de notre mariage, le ciel nous est tombé sur la tête. Ça a été le début de notre changement de vie. Mais heureusement je peux dire vie.

Nous étions hyper heureux ensemble depuis plusieurs années et en excellente forme, excepté pour mon conjoint Jean-François*, JeF, un mal de ventre ponctuel depuis quelque temps et une sorte de grosse grippe intestinale qui ne passait pas et l'avait amené à consulter.

Immédiatement son médecin l’avait envoyé faire un scanner et je nous revois, au salon, le rapport de scanner entre les mains. Le mot cancer n’y figurait pas, mais cela parlait de nodules a priori suspects de métastases et d’autres termes qui nous étaient très peu familiers: tumeur, sarcome, lymphome, suspects, nécessité d’une exploration chirurgicale abdominale. Éberlués, nous ne comprenions pas ce qui arrivait; nous réalisions juste qu’il se passait quelque chose de grave. Son fils de vingt ans est arrivé à ce moment-là. Je suis allée lui ouvrir, des larmes dans les yeux. Il m’a demandé en riant: tu as pelé des oignons? Non, pas exactement… La soirée et la nuit ont été terribles. Le lendemain nous nous sommes rendus ensemble - la question ne se posait même pas, ça nous concernait tous les deux! - chez l’oncologue qui a annoncé que c’était très grave, énorme tumeur dans l’intestin et nombreuses métastases dans le foie. Il faut opérer très rapidement, sa vie est en danger. C’est programmé pour deux jours après. Nous glaçants encore davantage, le médecin ajoute qu’ils aviseront au moment de l’opération, parce qu’étant donné ce qu’ils ont vu sur les images, il se peut qu’ils referment sans rien pouvoir faire; trop grave, trop tard. Nous sommes anéantis.

Nous prévenons famille, amis et ses collègues de travail. JeF reçoit plusieurs messages de soutien et réconfort, dontcelui de sa sœur: Tout l’amour et l’amitié autour de toi sont des forces dans lesquelles tu peux puiser. Si tu veux, je peux venir faire de la sophro préparatoire à l’opération. Je vous embrasse. Suivi, un peu plus tard, de: En attendant, vis l’instant simplement, et si l’instant est trop dur, accroche-toi à une image future positive, une image très concrète.

Le jour suivant, JeF et moi allons ensemble à l’hôpital pour son admission. Je vois ainsi dans quel service et dans quelle chambre il est installé. Sa sœur ainsi que notre amie pasteure, qui est supposée nous marier dans trois mois, passent brièvement; moment réconfortant.

L’opération est prévue le lendemain en première partie de matinée. On me téléphonera ensuite pour me dire ce qu’il en est. Si on me téléphone vite, c’est qu’ils n’auront rien pu faire et auront simplement refermé; si ça dure plus longtemps, c’est qu’au moins quelque chose aura été entrepris.

Notre entourage proche est avec nous. De nouveaux messages lui parviennent, parmi lesquels:

Nous sommes de tout cœur en pensées avec toi. Garde force et courage.

 Que la nuit te soit douce et sereine. Nous t’envoyons la lumière divine pour ton réconfort. De toute la famille, meilleurs vœux.

Tout va bien aller. Toutes les énergies sont là pour bien passer le cap. Reste serein.

 Je t’aime, et j’aime Mireille.

Une fois de retour à la maison, moi je lui envoie: Courage et bonne nuit. Rêve de nous au coin du feu, de chaises longues ou de super descentes à ski. Je t’aime très fort, et mon amour déplacerait des montagnes.

À l’aube du jour de l’opération, lui arrivent encore d’autres messages, dont:

Je pense très fort à toi et prie.

Toute cette journée, je t’accompagnerai, comme beaucoup d’autres personnes.

Tu vas gagner. Vas-y avec confiance.

Et moi, après lui avoir envoyé Coucou mon Amour; je t’envoie plein de confiance et de pensées positives, je t’embrasse très fort, prévoyant que l’attente va être insupportable, je décide que j’irai quand même travailler. Mais d’abord j’ai envie, non j’ai BESOIN, de le voir: on ne sait pas comment ça tournera… Les visites ne sont pas autorisées à l’hôpital le matin.Alors, entrant incognito à 7h15, je ne m’annonce nulle part et prends la direction de sa chambre. Dans le couloir, je croise quelqu’un, une infirmière je crois, qui me repère et me demande ce que je fais là; je lui explique, et heureusement elle a cette intelligence humaine de comprendre et me laisser entrer quelques minutes seulement. Je n’ai pas besoin de plus; le voir encore, le serrer dans mes bras, lui dire que je l’aime et que je suis avec lui. Mon bref passage me fait du bien (si je puis dire, vu les circonstances!) et lui apporte un minimum de réconfort. Merci encore à cette personne qui m’a laissée passer; dans l’état émotionnel où j'étais, si elle avait voulu m'en empêcher, je crois que j'aurais été capable de faire un esclandre…

Et je pars au bureau… sursautant d’effroi à chaque sonnerie de téléphone. À mesure que l’horloge tourne, mon état d’esprit change: bon, c’est plutôt bon signe, ils font quelque chose. Puis, alors que les heures passent: bon sang, pourquoi n’appellent-ils toujours pas, qu’est-ce que cela signifie? Enfin le téléphone arrive: ils l’ont pris un peu plus tard que prévu, ils ont fait le plus urgent, ôté la partie de l’intestin contenant la tumeur; mais ils n’ont rien pu faire face aux très nombreuses métastases dans le foie. Il est en salle de réveil; je peux y aller en fin d’après-midi.

Immédiatement je fais plusieurs téléphones et messages pour prévenir famille et amis. Ils attendent ces nouvelles. J’ai moi aussi besoin de les partager, c’est tellement lourd; ainsi je me sens un peu moins seule dans cette épreuve. Et j’en fais un à JeF - comme s’il allait être capable de reprendre son natel si rapidement (!) -: Coucou mon Ange. Bon retour à la vie consciente. Ils t’ont opéré, l’espoir renaît. Vive la vie! Évidemment je passe la fin de journée à l’hôpital, aussi longtemps que permis. JeF est presque constamment endormi, n’émergeant que pour de tout petits moments… où il réalise que je suis à ses côtés et je vois qu’il apprécie ma présence.

Des messages nous parviennent:

Sa fille: Quelles sont les nouvelles de papa?

Son fils: Un petit bonjour pour un bon réveil. Je passe avec Caroline demain si tu peux nous recevoir. Repose-toi bien. / Tu vois, tu as gagné le 1er match et tu vas gagner les autres. Et en plus tu as des équipiers du tonnerre. / Ils ont opéré! Merci. La chaîne de prière continue.

Et bien d’autres encore.

C’est impressionnant, ce réseau de soutien qui nous accompagne quasiment d’heure en heure. C’est touchant et tellement précieux! Nous sommes dans une sacrée galère, mais nous ne sommes pas seuls.

Le lendemain et les jours suivants, JeF souffre terriblement. Il doit être mis sous morphine à haute dose… qu’il supporte très mal: ça lui donne des nausées, le fait vomir à s’en tordre ce qu’il lui reste de boyaux, et il voit des éléphants roses. C’est horrible de le voir dans cet état, ça me fend le cœur. En dépit de la demande de plusieurs proches de venir lui rendre visite, cela ne sera pas possible; dans l’état où il se trouve, JeF ne peut et ne veut en voir qu’un tout petit nombre… qui passent de très brefs moments à son chevet.

«C'est impressionnant, ce réseau de soutien qui nous accompagne quasiment d'heure en heure. C'est touchant et tellement précieux!»

Quant à moi, ne pouvant de toute façon pas être auprès de lui à l’hôpital le matin, et dans l’impossibilité de dormir ou me reposer dans ces circonstances, autant m’occuper l’esprit autrement. Même si cela me demande un énorme effort de concentration, je vais travailler jusqu’en début d’après-midi, non-stop, et passe le reste des journées à son chevet. Être là pour qu’il ne soit pas seul dans sa souffrance, au moins être ensemble, partager. Il a également d’énormes angoisses.

Concernant mon travail, c’est terrible; ma tête est ailleurs, je suis émotionnellement à vif. Mais il faut assurer, j’ai un poste à responsabilités, plusieurs gros dossiers en cours et des séances prévues. En plus le chef est en vacances et je le remplace; je fais au mieux. Heureusement j’ai des collègues et partenaires compréhensifs…

Par ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse peut-être paraître, aller travailler est pour moi un peu salvateur: ça me sort chaque jour quelques heures de cet énorme stress, de cette débordante tristesse, et de ce sentiment tellement dur de ne rien pouvoir faire pour lui. Je donnerais cher pour lui enlever ne serait-ce qu’une partie de ses douleurs, lui redonner espoir, l’aider à s’en sortir. Mais non, je ne peux rien… sauf être là, vers lui dans son lit d’hôpital, des heures et des heures, pour qu’il me sente à ses côtés et me voie lorsqu’il ouvrira les yeux; il en a besoin et me demande reste, reste. Alors à bout de forces - il faut dire que je ne mange, ne bouge et ne dors quasi plus -, je reste. D’ailleurs, je ne m’imaginerais pas ailleurs!

Notre entourage continue au quotidien à prendre des nouvelles, pour certains à prier, et à exprimer leur soutien en me téléphonant ou en envoyant des messages; certains sur son natel que généralement il n’a ni l’idée ni la force de prendre, mais que je lui lis lorsque je le rejoins:

Espérons que tes douleurs se calment. Sommes tous les 4 en pensées avec toi.

Nous continuons à t’envoyer de la force et en donner à Mireille.

Cher JeF, tu es quelqu’un de précieux. À demain. Je continue de prier.

La journée s’annonce plus ensoleillée. Je souhaite que cela corresponde à ta journée. Je t’embrasse.

JeF, on est là avec toi, près de toi.

D’autres me sont adressés:

Courage, je suis avec vous, avec toi.

Juste une toute grosse bise pour te dire qu’on pense très fort à JeF et à toi. De tout cœur.

Avons bien pensé à vous aujourd’hui. Quand visite sera possible, merci de nous le dire. Bonne nuit.

C’est exceptionnel, d’être entourés ainsi! Toutes ces preuves d’amour et ces aides, dont les formes et les mots correspondent à chacun/e. Pour JeF, c’est certainement aussi puissant que bien des médicaments: se sentir en vie, aimé, soutenu. Pour moi également, ces messages sont très importants; je suis dévastée, mais je dois tenir pour l’aider à se battre. Heureusement je ne suis pas abandonnée, des gens pensent aussi à moi; ça me porte. Je prends soin de leur répondre à tous, dès que je peux; je le prends comme ma mission, mon devoir, mais c’est aussi mon propre besoin. Après coup, j’ai réalisé que j’aurais pu me décharger un peu en téléphonant à certains et en les priant d’informer chacun un ou quelques autres, quitte à alterner selon les jours, mais ça ne m’est même pas venu à l’esprit…

Mes parents ne sont pas très portés sur les messages électroniques. Alors ils téléphonent régulièrement et ma mère, bien que s’occupant de mon père très malade depuis quelques mois, écrit à JeF tous les jours de son hospitalisation une jolie carte choisie avec attention en y notant un petit texte d’encouragement tout spécialement recherché. Cela le touche beaucoup.

Les jours passent, mais la situation ne s’améliore pas. JeF doit être réopéré.

Le réseau de soutien fonctionne à fond:

Nous pensons et prions tout particulièrement pour vous. Bon courage. Bises. Mireille, souhaiterais-tu que je vienne cet après-midi, pendant l’opération? Je décline, j’ai besoin d’être seule, mais la proposition me fait chaud au cœur.

Je suis là pour vous deux et je prie pour JeF. Je vous apporte le maximum de Lumière.

Puis:

Des nouvelles?

La première pensée du matin est pour toi. Nous pensons très fort à toi. Courage.

Le soleil te fait-il aussi signe? Te berce-t-il? Si seulement il pouvait devenir baume sur tes douleurs!

«Nous pleurons ensemble face à cette situation qui nous dépasse complètement.»

Quelques jours plus tard, lorsque j’arrive dans sa chambre, je vois son oncologue et mon regard est immédiatement attiré par celui désespéré de JeF. Que se passe-t-il? En fait, sans se préoccuper si son patient était alors accompagné ou non, ce médecin venait de lui dire que malheureusement il souffre d’une forme de cancer incurable, pour lequel il n’y a pas de traitement ni de recherche, car trop rare; et qu’au surplus, son espérance de vie se limite a priori entre six mois et deux à trois ans. Et il était sur le point de repartir, laissant son patient seul avec cette terrible nouvelle que JeF, shooté par les médicaments, ne comprenait qu’à moitié. Presque comme ennuyé que j’arrive à ce moment-là, le médecin me répète brièvement la situation et s’en va… sans aucune possibilité de discussion ni manifestation d’empathie, nous laissant dans l’ahurissement et le désespoir face à ce verdict si radical. Que faire? L’homme que j’aime risque de mourir dans un laps de temps court, alors que la vie était devant nous. Je suis atterrée comme lui; sa vie, notre vie, nos projets, tout s’effondre. Je ne peux rien, je n’ai ni mots, ni solution, ni rien. Pourquoi cela nous arrive-t-il? Nous étions en bonne forme, vivions plutôt sainement, étions en train de nous construire une nouvelle vie peut-être d’autant plus consciemment choisie que pour tous deux c’était un redépart après un 1er mariage. Pourquoi? Pourquoi? Désespoir profond. Nous pleurons ensemble face à cette situation qui nous dépasse complètement.

Deux jours plus tard j’arrive comme tous les après-midis vers lui, dans sa chambre, et son lit est… vide!!! Gros choc. Effroi abominable: serait-il…? Mon cœur bat la chamade tandis que mon sang se glace dans mes veines. Je reste pétrifiée un moment, puis sors dans le couloir à la recherche de personnel pouvant me renseigner; on m’apprend qu’il y a eu une complication, ils ont dû l’emmener pour le réopérer. Personne n’avait eu l’idée de m’en informer! J’aurais certes aussi eu peur, mais cela m’aurait au moins épargné ce nouveau traumatisme.

J’avais souffert d’un gros burn-out quelques années auparavant, dont je m’étais heureusement bien remise mais qui a malgré tout laissé des traces, en particulier une nettement moins bonne résistance au stress. Là, depuis deux semaines, point de vue stress, je suis servie!!! Mais ce n’est pas moi l’important, c’est LUI, lui qui souffre, lui qui est confronté à ce diagnostic sans appel, lui que son corps lâche, lui qui est terrorisé. On me contacte pour avoir de SES nouvelles, et c’est absolument normal, c’est lui le malade. Lorsqu’on me demandeEt toi, ça va? je suis tellement touchée que je fonds en larmes. Non, ça ne va pas… Ça ne peut pas aller; mais ça ira. Et je fais face. Moi qui meurs de peur, dont le monde s’est effondré en même temps que le sien, je gère tout: JeF que je porte à bout de bras du mieux que je peux, les informations médicales que je tente de comprendre, leurs implications à intégrer, les informations à donner à l’entourage, mon travail, le minimum à la maison… Des voisins se relaient spontanément pour tondre notre gazon.

Je ne prends souvent même pas le temps de manger, ni celui de faire des courses. Lorsque je rentre enfin à la maison le soir, épuisée, je prends mon téléphone pour donner les dernières nouvelles et répondreà ceux que je n’ai pas eu l’occasion d’informer en journée. Puis il est tard, je n’ai plus la force ni l’envie de cuisiner, je grignote ce que je trouve dans mes armoires, puis je tombe de fatigue et vais me coucher.

Un jour sa sœur, voyant mon état et JeF presque tout le temps endormi, me fait remarquer très judicieusement que juste à côté de l’hôpital il y a les bains thermaux où je pourrais me rendre une fois ou l’autre. Quelle excellente idée! Quoiqu’il me soit très dur de le quitter - et s’il se réveille juste quand je suis absente? -, je m’y rends un jour, assez brièvement, mais c’est déjà ça. Et effectivement ça me fait du bien, me permet de baisser quelque peu mon niveau de stress, et je retourne le rejoindre avec une meilleure force intérieure. Merci à ma belle-sœur, je n’y avais pas pensé… et ne me le serais pas permis: quand on a trop la tête dans le guidon, on ne peut plus lever le nez pour prendre du recul et voir les bonnes options.

Heureusement, encore et encore, sans diminuer dans la durée, tous les jours nous continuons à recevoir de nombreux et magnifiques messages, chaleureux, soutenants. Ça nous met un peu de baume au cœur à tous les deux.

***

Notre mariage est prévu dans deux mois. L’aumônière de l’hôpital nous demande si nous ne voulons pas en avancer la date car, ayant côtoyé de nombreux malades dans un état similaire, elle en a vus partir en un temps nettement plus court! Un choc de plus! Oui, en effet, que devient notre mariage? JeF est conscient que c’est très mal parti. Il me fait savoir que, s’il doit quitter prématurément ce monde, il souhaiterait que ce soit en étant marié. Toutefois, très attentionné à mon égard, il ne veut rien m’imposer: si c’est pour passer le temps restant avec un homme malade et en si mauvais état, il comprendrait que je renonce et que je veuille faire ma vie avec quelqu’un d’autre, avec qui je pourrai réaliser des projets. Et il attend ma réaction… qui vient immédiatement: Pas question, c’est lui que j’aime, c’est avec lui que je veux faire ma vie, même si notre vie en commun doit être courte. Nous avons prévu de nous marier, pour le meilleur et pour le pire; nous sommes directement confrontés au pire. Mais ça ne remet rien, oh non rien du tout, en question. L’oncologue nous fait savoir que nous pouvons maintenir la date envisagée, il peut faire en sorte que d’ici-là JeF soit en état de vivre cette journée; ensuite…

Et notre voyage de noces, dont la date approche aussi? L’agence de voyages me presse de nous décider, elle a besoin de confirmer auprès des différents partenaires. J’ai retardé au maximum la décision: peut-être un miracle va-t-il arriver? Peut-être cela sera-t-il quand même possible? Je voudrais tant y croire! Mais je dois finalement, seule face à ce dilemme et sans pouvoir en parler avec JeF qui est trop mal en point, me résoudre à annuler notre voyage de noces. Que c’est dur!Et, directement après: Ai-je bien fait? Si finalement il se remet et que nous aurions pu partir? Ça tourne dans tous les sens dans ma tête, c’est horrible. Je me sens terriblement seule.

C’est ainsi, avec cette première période de choc cataclysmique, que commence réellement notre long cheminement en commun face à - ou avec - cette terrible maladie qui fait désormais partie de notre réalité. C’est lui qui est malade, très malade, et on ne sait pas combien de temps il vivra encore. Mais je suis concernée avec lui, ma vie aussi est depuis lors chamboulée, au quotidien influencée par sa maladie et ce qu’elle implique.

 

La vie en montagnes russes

Retour à la maison

   Après presque trois semaines d’hospitalisation, JeF, très affaibli par les opérations et la dizaine de kilos perdus, peut rentrer à la maison. Outre des médicaments à prendre, on nous communique des consignes nutritionnelles ponctuelles suite aux opérations. En plus, il ne supporte plus le gluten. Pas facile à gérer pour moi: que vais-je donc pouvoir lui cuisiner, de bon et qui lui fasse envie, lui qui n’a qu’un si petit appétit? Il y a du gluten quasi partout, dans le pain, les pâtes, les gâteaux, les sauces et, lorsqu’on y regarde attentivement, dans quantité de produits où on ne s’y attendrait pas; c’est tout sauf simple… (On est alors en 2004; de nos jours, c’est nettement plus facile, on trouve de nombreux articles même dans les grandes surfaces). Début des aventures culinaires… C’est au magasin bio que je trouve des pâtes, mais certaines ne sont pas bonnes du tout; il faut en tester plusieurs sortes. C’est aussi dans un tel magasin que je trouve du pain sans gluten… sous vide; ça n’a pas vraiment de goût, mais toasté, ça va. Et ainsi, je prépare deux menus différents, le mien standard, et le sien adapté.

JeF est encore rongé de douleurs et peut à peine faire quelques pas, plié en deux par les cicatrices internes et externes au ventre (plus tard il dira, en plaisantant, qu’il peut faire de la publicité pour les fermetures éclair Riri). Je suis dévorée par un terrible sentiment d’impuissance: que puis-je faire d’autre que d’être là, à ses côtés, partager tous ses états d’âme, manifester ma compassion et mon amour, lui préparer les meilleurs petits repas que je peux et qu’il supporte? Je travaille à un taux légèrement réduit (mon médecin m’aurait arrêtée complètement si je n’avais pas insisté pour continuer) afin de pouvoir être un maximum à ses côtés. De toute façon, je serais incapable d’en faire plus, je suis émotionnellement à vif, épuisée: l’émotion, c’est bien plus fatigant que l’effort! Mais c’est incroyable ce qu’on est capable de faire quand il le FAUT. Je suis à la fois forte et très fragile.

«C’est incroyable ce qu’on est capable de faire quand il le FAUT.»

Parlait-on à l’époque déjà des proches aidants et des aides à disposition? En tout cas je n’en avais pas entendu parler. J'ai juste pris ce rôle à bras-le-corps, à 100% et en y investissant tout mon être et mon temps.

Sa mère de presque 80 ans vient fréquemment chez nous faire la garde-malade. Dans notre entourage, les autres personnes sont toutes engagées professionnellement, donc pas facile pour elles d’être présentes; mais elles continuent à nous soutenir par leurs chaleureux messages et appels téléphoniques. Que c’est dur pour moi de partir le matin sans savoir dans quel état je le retrouverai, de téléphoner en cours de journée et d’entendre sa toute petite voix. Sera-t-il seulement encore en vie le soir? On ne lui a pas prédit une issue si courte, mais je ne peux pas ne pas y penser…

Nous prions ensemble… ce que nous n’avions jamais fait avant. Cela nous rapproche encore.

Les contraintes du quotidien sont là: nuits perturbées, gestion de ses médicaments, préparation de repas adaptés, etc. J’essaie de lui offrir une présence un tant soit peu rassurante. J’apprends tant bien que mal comment le soutenir afin que ses changements de position lui provoquent un minimum de douleurs. Je l’aide à faire quelques pas, chaque jour quelques-uns de plus, d’abord de la chambre à la salle de bains, puis jusqu’à la cuisine, au salon, puis enfin autour de la maison, et dans la rue. Il y met toute sa volonté, et chaque jour il vise un objectif un peu plus grand.

Nous apprécions chaque progrès, aussi petit soit-il, et essayons de prendre ce que la vie nous donne: nous goûtons au soleil qui vient réchauffer notre peau, profitons d’une petite pause sur le banc devant la maison, admirons l’étang dans lequel les grenouilles chantent, nous laissons porter par les messages de réconfort et d’amitié. Ce sont des petits moments de bonheur.

Son médecin de famille, que nous allons trouver en espérant… - espérant quoi, au juste? -, le regarde d’un air atterré et lui dit: Vous avez des projets? Je vous propose de les réaliser rapidement si vous y tenez. Oh là là, ce n’est pas ce que nous souhaitions entendre; lui non plus ne mentionne aucun espoir, si infime soit-il.

   Plongée dans un nouveau monde: méditation, croyances et émotions

    Dès que JeF avait un peu repris ses esprits à l’hôpital, sa sœur lui avait apporté un livre d’un médecin cancérologue américain ayant développé une approche basée sur la méditation ainsi que les croyances saines et les pensées positives, après avoir constaté l’influence de celles-ci sur l’évolution de ses patients. Par une coïncidence incroyable, quelques semaines après sa sortie d’hôpital, ce médecin vient animer un stage de cinq jours en Suisse, à Schoenried. Attiré par cette approche et quoiqu’encore très faible, JeF veut y aller. Pour participer, tout patient doit venir accompagnéd’une personne proche, avec qui il lui sera possible de partager (conjoint, fils/fille, amie/e…). Je négocie une semaine de vacances avec mon employeur et nous y allons.

Durant une semaine, malades et accompagnants vivons des travaux en groupe, en couple ou individuels. Nous entrons dans un monde qui nous était totalement inconnu, car nous sommes tous deux plutôt pragmatiques et toujours dans la course en avant. Ça me fait du bien que des gens compétents et professionnels du cancer partagent sa situation avec empathie et humanité, l'aident et lui donnent des outils pour avoir moins peur et se prendre en main; c’est difficile pour lui, mais il est preneur.

L’accompagnement exigé est vraiment important. En effet ainsi, outre les aspects pratiques, je peux comprendre et accompagner le nouveau cheminement dans lequel JeF entre. Et je peux aussi combler mon propre besoin de souffler, m’apaiser, travailler mes croyances et mes pensées: rester dans cancer phase terminale =JeF va mourirne m’est certainement pas favorable. Même si c’est une probabilité forte, je peux quand même essayer de me mettre un autre disque dans la tête, moins destructeur au quotidien: notamment que je recevrai toujours la force nécessaire quoi qu’il arrive, concevoir la mort autrement, de façon plus sereine, me dire qu’en dépit de tout peut-être que JeF va guérir, et intégrer que j’ai la force de gérer toutes les situations, même les nouvelles et les plus difficiles. Cette semaine de stage m’est d’un grand réconfort et m’apporte une approche et des ressources qui m’aident encore aujourd’hui.

   Notre mariage

Ce séjour bienfaisant, sans changer les nombreuses contraintes du quotidien, apporte un petit mieux général et aide dans la tête. JeF retrouve des forces. Cela nous aide à finaliser la préparation de notre mariage et à nous en réjouir.

Nous avons le privilège de vivre une belle journée, emplie de joie… même si JeF a un repas spécialement adapté pour lui, des médicaments à prendre à heures précises et qu’il doit sortir se faire une injection toutes les quelques heures. Et même si mon père décède à l’aube de ce jour-là; mourant depuis quelques jours, il tenait tellement à être présent à notre mariage. Il n’aurait pas pu l’être davantage: la pasteure officiant l’a intégré dans son message en ouverture de cérémonie, son énergie était pleinement avec nous. Et ma mère, qui l’avait veillé tous les derniers temps, a été dans la reconnaissance qu’il meure ce matin-là, ce qui lui a permis de prendre congé de lui puis de venir à la fête; elle ne serait pas venue s’il avait encore été mourant; quel courage et quelle force elle a eu!

C’est magnifique de pouvoir vivre une telle journée, entourés de tous ceux que nous aimons.

A posteriori, j’ai juste le regret de ne pas avoir pu accompagner ma mère comme elle l’aurait mérité dans sa période de deuil, étant personnellement totalement absorbée par ce que nous vivions.

   Opération CHUV?
   Son choix… Implications

Après les diagnostic et pronostic implacables reçus du premier médecin, une fois le gros choc passé, JeF, tellement désireux de vivre, avait décidé de consulter le CHUV pour un deuxième avis. Nous y avons rencontré un médecin spécialiste pour qui une opération du foie, une très grosse opération, apparaît finalement envisageable. Évidemment j’étais avec JeF à l’entrevue; il préférait ne pas être seul car, trop perturbé émotionnellement, il risquait d’avoir de la difficulté à comprendre, se focalisant sur l’une ou l’autre information au détriment de la situation globale. Et moi aussi j’avais besoin de savoir ce qu’il en était, les possibilités, les risques, les perspectives. On n’était pas trop de deux pour comprendre ce qui nous était présenté: ce n’était pas notre monde! Le médecin a pris le temps de tout nous expliquer en détail, schémas et dessins à l’appui: l’intervention ne procurera pas la guérison, mais l’ablation de 70% du foie, en deux opérations, permettra d'enlever l’essentiel des métastases; c’est déjà énorme. Et après quelques mois, le foie repoussera - unique organe à pouvoir le faire.

«En vue de sa survie, ou plutôt POUR SA VIE, lui qui a toujours eu une grande force de caractère, va petit à petit mettre toute son énergie à explorer et expérimenter différentes approches susceptibles selon lui de l'aider.»

Ce médecin-là, en plus d’être un grand ponte dans sa spécialité, s’est révélé d’une grande humanité.

Le lundi après notre mariage, en lieu et place du voyage de noces prévu, JeF a rendez-vous au CHUVpour cette grosse opération, risquée. Attendu pour 14h, il ne s’en sent pas la force, il n’est pas convaincu, a trop peur. En fin de matinée il téléphone pour informer qu’il ne viendra pas. Ohhhh là là!!! Pour le corps médical, c’est de la folie, c’est renoncer à l’opération qui est le plus risqué, il FAUT le faire. Pour la famille et nos amis, c’est la stupéfaction et l’incompréhension. Moi, à côté, je ne sais pas, je n’en sais rien, je n’ai aucune idée de ce qui est le mieux; sa décision me fait peur aussi, mais si c’est ce qu’il ressent, c’est SA vie qui est en jeu, c’est SON choix et je le suivrai, quoi qu’il advienne.

Et après coup je me dis que vraisemblablement, dans l’état physique et émotionnel dans lesquels il était alors, s’il avait subi cette opération à ce moment-là, il aurait vraisemblablement développé toutes les complications possibles… Il l’a senti, il a écouté ce qui était alors le plus juste pour lui.

Refuser l’opération ce jour-là ne signifie pas pour JeF renoncer à se battre. Au contraire! Dès qu’il a un peu d’énergie, JeF s’intéresse à tout ce qui pourrait contribuer à déjouer cet affreux pronostic. Il cherche des informations sur internet, il en reçoit de la part de l’entourage; il faut trier, et pour ça étudier, se renseigner encore et encore. En vue de sa survie, ou plutôt POUR SA VIE, lui qui a toujours eu une grande force de caractère, va petit à petit mettre toute son énergie à explorer et expérimenter différentes approches susceptibles selon lui de l’aider. Il ne peut plus travailler, mais ça, ce sera son nouveau job, comme il dit. J’admire sa force, sa volonté de croire que quelque chose sera possible, le tout ponctué encore et toujours de moments de doutes, de peur, de souffrances morales et physiques, que j’accompagne du mieux que je peux.

Si je partage nombre de ses trouvailles et réflexions, je ne peux, en plus de tout le reste que je gère, m'intéresser en détail à chacune; je n'ai ni la disponibilité temporelle ni celle d'esprit. Je n'en ressens pas non plus forcément le besoin.

Certaines démarches, par contre, m'impliqueront beaucoup!

   Milan, puis New York

Après la semaine de stage bienfaisante et notre beau mariage, son état de santé est toujours très préoccupant. La médecine ne pouvant rien d’autre pour lui - excepté cette opération qu’il ne souhaite pas, en tout cas pas pour le moment étant donné son état -, quelqu’un nous parle d’un guérisseur à Milan. De toute façon, il n’y a rien à perdre; pour JeF, c’est clair, il faut y aller. Je reprends un jour de vacances et nous allons le trouver. Là-bas, nous rencontrons quelqu’un qui nous inspire confiance; on voit qu’il s’y connaît, et qu’il a diverses cordes à son arc. Il propose des compléments alimentaires pour renforcer l’organisme afin que celui-ci soit mieux à même de lutter contre la maladie. Et il enseigne une méditation toute particulière à JeF, qui la pratiquera quotidiennement durant trois heures pendant plusieurs semaines, et même ultérieurement. Heureusement, le fait de l’avoir accompagné me permet de comprendre la démarche, qui m’a l’air convaincante; comme lui, je veux y croire.

Le cas de JeF étant trop grave pour lui seul, ce guérisseur nous recommande un oncologue réputé de New York, avec lequel il collabore. Parfois, nous dit-il, ils ont là-bas deux à trois ans d’avance sur l’Europe. Ça peut être bon à prendre… Sans hésiter, JeF demande de lui procurer un rendez-vous. Et branle-bas de combat, je négocie à nouveau une absence au travail, il faut faire de toute urgence un passeport pour JeF, réserver des billets d’avion, une chambre d’hôtel, prévenir l’entourage, préparer les bagages, caser le chat, chercher au CHUV le dossier médical et trouver quelqu’un pour en traduire les éléments essentiels en anglais. Nous trouvons une professeur d’anglais qui nous reçoit après ses cours; nous sommes chez elle jusqu’à minuit… et le matin à cinq heures le réveil sonne en vue du départ à l’aéroport. Sacrée aventure! JeF est comme dopé, il tient le coup.

Le médecin new-yorkais confirme que l’opération proposée par le CHUV est nécessaire, même indispensable. Mais cela ne suffira pas. Il faut renforcer l’organisme, avec encore d’autres compléments. Et il faut méditer; aussi incroyable que cela puisse paraître (même aujourd’hui, 20 ans plus tard, je n’en reviens toujours pas!), il nous fait alors passer dans une autre pièce où il fait une demi-heure de méditation sur la lumière, que je traduis au fur et à mesure. Nous repartons de chez lui avec le CD de la méditation.

Par souci de ne rien omettre, ce médecin nous envoie encore chez un de ses confrères. Ce dernier confirme que l’opération est à entreprendre sans tarder. Au moins, on y voit plus clair et JeF se sent quelque peu rassuré à ce propos; moi aussi!

   Traitement - Opération – Espoir

À notre retour de New York, JeF, renforcé par ce qui lui a été appris et donné là-bas, est plus enclin à envisager la grosse opération proposée par le CHUV. Mais il n’est quand même pas encore prêt…

Il trouve et suit encore d’autres thérapies, parfois épiques comme celle d’une doctoresse allemande visant à détoxifier et renforcer l’organisme, traitement particulièrement pénible qui durera plusieurs semaines. Une des phases les plus intenses est vécue au cours d’une semaine de vacances que nous passons à St-Luc, complètement rythmée, à heures précises, par ses prises de divers compléments alimentaires en grande quantité et souvent terriblement mauvais. Il se sent mal durant de longs moments. Mais il s’accroche; si cette démarche peut aider, il la fera jusqu’au bout. Quel courage! Moi, à côté, souhaitant du plus profond de mon être qu’il vive, je ne peux qu’accueillir ses décisions et choix et les accompagner, avec admiration pour sa ténacité. Il est en vie, il fait tout pour le rester, c’est ça l’essentiel.

Nous avons avec nous à St-Luc le livre de cette doctoresse, en allemand, que nous passons des heures à tenter de comprendre au mieux, moi lui en faisant la traduction tant bien que mal. Heureusement mes origines suisses alémaniques me donnent une certaine aisance avec cette langue. Mais quand même, c’est complexe; on se concentre sur l’essentiel.

Nous avons malgré tout l’occasion de passer quelques bons moments. Nous les savourons avec une intensité et une joie encore bien plus grandes qu’elles ne l’auraient été sans sa maladie. Avant, nous aurions trouvé que c’était normal. Là, la vie nous apprend à la vitesse grand V à jouir de chaque bon moment, apprécier chaque petite source de joie, chaque belle journée…

Suite à cela, cette fois convaincu et fortifié, il reprend contact avec le médecin spécialiste du CHUV pour planifier l’opération du foie, en deux phases. Et il y va.

Les deux opérations auront lieu et réussiront. Au sortir de la plus grosse, me rejoignant dans les couloirs de l’hôpital que j’arpente anxieusement, ce médecin vient personnellement m’en donner des nouvelles. Vraiment, ce médecin-là mérite une médaille!

Les médecins ne se rendent pas toujours compte à quel point c’est important de prendre le temps de renseigner leurs patients… et leur entourage, ce dernier étant souvent le premier pilier pour le malade, afin de lui donner le courage de continuer la lutte.

C’est réussi. Magnifique! Nous reprenons espoir.

   Évolution

À la suite de ces opérations, JeF souffre beaucoup mais ne prend qu’un minimum de morphine, qu’il ne supporte toujours pas. Aux douleurs s’ajoute fréquemment une bonne dose d’angoisse quant à l’avenir, angoisse que je partage. Yoyo entre espoir et souffrance, souffrance et espoir.

Il a souvent de très grosses diarrhées qui l’affaiblissent beaucoup. Ensuite il doit se reposer un moment, donc nous adaptons notre rythme. Si nous avions prévu quelque chose, nous retardons le moment de notre départ, faisons une pause… En plus, ces diarrhées l’inquiètent, car il lui a été dit que c’est un des signes d’évolution de la maladie. Est-ce le cas à ce moment-là, ou est-ce dû à autre chose? La question reste, mais l’inquiétude aussi; pour moi également.

Je suis épuisée, physiquement et émotionnellement. Mais pas question de craquer: JeF a besoin d’une personne qui lui communique empathie, force et courage, pas de quelqu’un à consoler! Je sens cependant que je n’y arrive plus, j’ai besoin d’aide. Heureusement, je connais une médecin psychiatre-psychothérapeute qui m’avait aidée lors de mon burn-out. Je reprends contact et régulièrement chez elle je peux m’épancher, pleurer (ce que j’évite désormais au maximum devant JeF), parler de mes peurs, mes difficultés, mes chagrins, mes doutes, mes questionnements…, tenter d’y voir plus clair et de prendre du recul, recevoir de nouvelles ressources - médicamenteuses, mais pas seulement! Pendant une longue période, elle sera pour moi un pilier très précieux.

Au fil des semaines JeF retrouve petit à petit une assez bonne énergie qu’il met à profit pour continuer inlassablement ses recherches en vue de ce qui pourrait l’aider. Malgré les hauts et les bas – Cela suffira-t-il? Comment tout cela va-t-il évoluer? –, pour tous deux la vie redevient un peu plus légère. Chaque fois que je rentre du travail, il me partage ses découvertes et ses réflexions.

Il est désormais assez bien pour vaquer seul à diverses occupations et aller rencontrer médecins ou thérapeutes. Ainsi il fait notamment la connaissance d’une médecin formée également à d’autres approches. Elle n’est pas oncologue mais considère cette maladie dans le cadre d’une santé globale. Elle non plus ne lui fait pas de promesses quant à l’évolution possible. Mais elle écoute JeF et l’accompagne pour renforcer sa santé sur les autres plans, par des médicaments ou compléments alimentaires, ou lui suggère certaines thérapies. Avec elle, il peut discuter de tout, lui apporter les rapports de scanner pour examiner aussi les autres éléments qui y figurent mais sur lesquels les oncologues ne s’attardent pas, car ne relevant pas de leur spécialité. Durant des mois et bien des années, il lui fait part de ses découvertes d’autres approches pour obtenir son appréciation sur leur pertinence ou non dans son cas, ou à ce moment-là. Très précieux! Elle est LA personne fixe qui l’accompagnera avec une grande humanité dans la durée, toujours à l’écoute, toujours attentive et de bon conseil. Chaque fois qu'il en revient, je le sens mieux; il a davantage de courage, est plus à même de prendre sa vie en main, d'agir en connaissance de cause. Ça me fait du bien à moi aussi! Cette médecin, en plus de ses grandes compétences, a tout compris. Vraiment, pour moi, elle est un ange, et c’est sûrement aussi en bonne partie grâce à elle que JeF est encore là aujourd’hui. C’est en tout cas mon avis.

 «Moi, souhaitant du plus profond de mon être qu'il vive, je ne peux qu'accueillir ses décisions et ses choix et les accompagner, avec admiration pour sa ténacité.»

   
   Alimentation - Vie sociale

Étant donné le peu de foie (pas de foi!) qu’il lui reste après la dernière opération, nous avons dû apporter de nouvelles modifications à son alimentation. Notamment, en plus de nouvelles consignes postopératoires - différentes des précédentes (!) -, et toujours la suppression du gluten, désormais et durablement plus une seule goutte d’alcool, plus de graisses animales ni de viande rouge.

Convaincu du rôle important de l’alimentation, JeF se met en recherche de ce qui est bon ou ne l’est pas comme premier carburant pour son corps. Il consulte une médecin nutritionniste, une diététicienne, lit des articles, cherche sur internet, et malgré qu’à l’hôpital on lui ait recommandé de manger des crèmes et des glaces pour reprendre les nombreux kilos perdus, il arrive rapidement à la conclusion que le sucre est à éliminer de son alimentation, afin de ne pas nourrir les métastases. Nous passons au sucre de canne et au fructose; puis il convient de les exclure aussi, identiques semble-t-il au sucre dans leurs effets sur les cellules cancéreuses. Nous recourons au miel… supprimé ensuite également, de même que le sirop d’agave, et toutes autres formes de sucres. Quant aux édulcorants, c’est encore pire!

Très vite intervient aussi la suppression des produits laitiers bovins et d’autres choses encore. Son alimentation se focalise sur les légumes réputés les plus anticancer, et élimine complètement les plus défavorables tels que les légumes acides et même la plupart des fruits, trop sucrés, à l’exception des petits fruits rouges.

Le répertoire des aliments et menus envisageables est donc à nouveau fortement chamboulé et se restreint encore drastiquement. C’est un peu paniquant: que reste-t-il de possible? Moi qui n’ai jamais été une championne en cuisine, ce n’est pas évident du tout… Heureusement, il s’implique aussi! Il faudra plusieurs mois de recherches et de tâtonnements jusqu’à ce que les choses se mettent en place plus naturellement.

Pour garder la meilleure forme, JeF tient beaucoup à des repas complets, équilibrés, avec des produits frais et commençant par une crudité tous les midis et soirs. Nous passons à une nourriture essentiellement bio, afin que son organisme garde son énergie pour combattre la maladie plutôt que lutter contre les effets des pesticides et autres produits chimiques!

Lorsque je fais les courses, je n'achète certains aliments que pour lui, comme le tartare d'algues que je n'aime pas. Mais pour la plupart des choses, petit à petit j’adopte largement son régime… même si je continue à manger des desserts et apprécie partager un délicieux papet vaudois avec ma belle-maman (j'ai le privilège d'en avoir une super!) ou notre apéro traditionnel campari-orange tandis que JeF boit du thé vert. Et lorsque nous sommes avec du monde, je bois volontiers un verre de vin avec le repas…

Il faut toujours vérifier si tel aliment est encore approprié, lire les étiquettes sur les produits et les mentions notées tellement petit qu’il faudrait une loupe… Exclure certains aliments usuels n’est pas toujours facile; mais c’est ainsi, pas question de se faire du mal. Le contenu des armoires et du frigo change, et si certains aliments disparaissent totalement, d’autres y font leur apparition.

Trouver de nouveaux ingrédients et de nouvelles recettes prend du temps, mais cela fait désormais partie de notre vie au quotidien. Heureusement JeF, qui est à la maison alors que la journée je suis au travail que j’ai repris à mon taux usuel, s’y met aussi… surtout qu’il est seul à midi. Et il cuisine très bien!

Dès que c’est redevenu envisageable, nos familles et nos amis ont souhaité à nouveau nous inviter… même si nous avons parfois dû, surtout dans les premiers temps, annuler au dernier moment. Notre entourage, remarquable, comprend et prend le risque, pour avoir le plaisir de nous voir, même si c’est compliqué avec ses nombreuses restrictions alimentaires. Dans l’idée de simplifier la situation plutôt que de passer de longs moments à les expliquer chaque fois par téléphone, je prépare un document Word avec une liste des aliments exclus, que je transmets. La liste est longue, elle fait peur. J’y ajoute donc une liste de possibilités, dont des aliments auxquels nous-mêmes ne pensions pas, ou peu, auparavant, comme lentilles, pois chiches, quinoa, tofu, crème de soja, lait de coco, etc. Mais au fil des semaines et des mois, et au gré des opérations, des conclusions auxquelles ses recherches le mènent ou des thérapies qu’il entreprend, les aliments envisageables pour lui changent. Certaines fois, le bon repas mitonné par nos hôtes en se basant scrupuleusement sur la liste fournie ne correspond plus; et JeF ne mange pas, en tout cas rien de ce qui, à ce moment-là, ne lui correspond pas. Déception pour tout le monde.

Ma filleule a alors une bonne idée: puisque la liste Word distribuée n’est régulièrement plus à jour et entraîne ce genre de situations désagréables, pourquoi ne pas faire un blog? Plus à l'aise que nous dans ce domaine, c'est elle qui nous le crée. Ainsi notre liste, que je peux régulièrement modifier et compléter, est accessible dans une version à jour chaque fois que nécessaire. Ce blog nous sera utile longtemps.

«Je suis épuisée, physiquement et émotionnellement. Mais pas question de craquer.»

Avec joie nous retrouvons une vie sociale, pouvons aussi prévoir des sorties, aller au cinéma, nous rendre à tel festival, fête villageoise ou autre… Toujours cependant nous devons nous renseigner sur la nourriture prévue sur place; parfois il y a un stand de plats asiatiques (poulet et riz au lait de coco p. ex.), c’est parfait. D’autres fois, rien ne convient pour lui: rôti, hot-dog et autres kebabs ne font pas l’affaire… Alors pour ne pas renoncer et nous isoler, je prépare quelque chose dans un tupperware: souvent une potée de lentilles, qui peut facilement se manger froide; et des sachets de tisane ou de thé vert, car généralement il n’y a que du café ou du thé noir, qui lui sont contre-indiqués… Ainsi nous participons à la manifestation avec tous les autres, aussi longtemps qu’il le supporte. La vie reprend quelques couleurs.

Pour des sorties au restaurant par contre, je vous laisse imaginer la difficulté…

   Joie de vivre

En meilleure forme, JeF est tout heureux de pouvoir à nouveau bricoler et mener des projets. Une de ses passions, ce sont les voitures anciennes. Nous reprenons notre participation à l’une ou l’autre sortie avec le club. Ça lui procure du plaisir. Certains participants connaissent son histoire et s’enquièrent de sa santé; d’autres ne se doutent de rien, et ça lui fait du bien également, ça le sort de la maladie.

À l’occasion d’une sortie au Jura toutefois, il se sent mal. Il s’en faut de peu que nous ne puissions pas rentrer. Heureusement, finalement JeF récupère assez et tout rentre dans l’ordre.

   Et nouvelle catastrophe

Après quelques mois, JeF passe son scanner de contrôle. Tous deux pleins d’espoir au vu de la bonne énergie globalement retrouvée, nous nous rendons ensemble à l’entrevue chez l’oncologue pour en connaître le résultat. Et… c’est la catastrophe!!! Si son foie a repoussé, étonnamment bien même (grâce à tout le soin que JeF y a mis, à toutes ses démarches, son alimentation?), cette nouvelle partie est envahie de métastases!!! On nous déclare qu’à ce stade, il n’y a plus rien à faire. Nous sortons du CHUV totalement anéantis, la fin est proche, nous devons nous préparer, nous a-t-on dit… C’est terrible. On avait pourtant tellement voulu y croire, il avait tellement tout entrepris dans ce sens, on avait retrouvé une vie presque «normale».

Dans notre vie en montagnes russes depuis neuf mois, nous nous retrouvons une nouvelle fois au plus profond de l’abîme.

   Brésil – Forces et apprentissage

Après un gros trou noir, JeF, mû par une force de vie incroyable - mais où trouve-t-il donc cette énergie de vie? -, refuse toujours d'abandonner le combat. Il se souvient alors d'un médium-guérisseur au Brésil que deux personnes de notre entourage lui avaient mentionné, information qu’il avait alors mise de côté. Par contre maintenant que tout semble fini, peut-être est-ce là-bas qu’un tout dernier espoir subsiste encore? Il trouve une personne qui y accompagne prochainement un groupe, ce qui est vraiment utile dans un pays dont nous ignorons tout, et dans une démarche quand même très spéciale… Je ferai tout pour tenter de comprendre, en tout cas accepter, m’engager avec lui dans ce qu’il veut encore tenter, et m’organiser en conséquence. Trois semaines plus tard, nous sommes au Brésil. Le long voyage a été très fatigant pour lui. JeF est trop faible; le premier jour, nous ne pouvons pas finir la visite du Centre et devons, lui s’appuyant sur moi, rentrer à la pension.

Les jours suivants se passeront mieux dans cet endroit chaleureux, accueillant et plein de bienveillance où chacun est accueilli quelle que soit sa croyance, invité simplement à se connecter à son Soi profond et à Celui qui est au-dessus de tout et de tous, quel que soit le nom qu’on lui donne (Dieu, Lumière, Énergie universelle, …).

Notre accompagnatrice nous explique les différents «rites» et nous offre un accompagnement personnalisé. Et c’est ainsi qu’en plus de ce qui se vit dans le Centre du médium, voyant que j’aide JeF tout le temps, que je pense pour lui, notamment à tous ses divers traitements qu’il doit prendre très souvent à horaires précis, elle me dit devant lui: Arrête Mireille, tu en fais trop, tu le maternes, ton attitude l’infantilise et ne lui rend pas service. Quel choc! Malgré toutes mes bonnes intentions, cette aide-là n’est pas adéquate. Comme la chenille qui veut devenir papillon et doit faire elle-même le travail de sortir de sa chrysalide pour se renforcer, on me fait comprendre que si JeF veut guérir, ou vivre le mieux ce qu’il a encore à vivre, c’est à lui de gérer ses médicaments, il va assez bien pour cela. Je faisais l’inverse de ce qu’il fallait. Ce message résonne tellement juste en moi! Et me soulage beaucoup: même si je souhaite de tout mon cœur qu’il reste en vie, le plus longtemps possible, je ne suis pas responsable de sa santé. C’est à lui d’agir: que veut-il réellement? Il semble que certains malades, plus ou moins consciemment, aiment finalement bien rester dans ce rôle de malades parce qu’on s’occupe d’eux et on leur apporte une attention comme jamais; et de ce fait, la guérison est plus difficile à venir. JeF a entendu comme moi; être dépendant plus que nécessaire, ça ne lui correspond pas. Lui, ce qu’il veut, c’est être le plus autonome possible et guérir. Depuis, alors qu’il se prenait déjà en main pour beaucoup de choses, il reprend aussi pleinement la gestion de sa médication; et c’est gratifiant. Quel bel apprentissage pour tous les deux!

JeF revient de ce séjour avec une petite lueur d’espoir que lui a donnée le médium-guérisseur. Et chaque fois que dans sa tête tourne le disqueje suis fichu, il tente d’y mettre l’autre version, la lueur d’espoir, peut-être y a-t-il quand même encore une chance; et il va tout faire pour. Le médium lui a demandé de revenir trois fois; pour JeF, c’est donc qu’il va vivre pour pouvoir y retourner! Il retrouve un peu d’énergie et son envie de se battre est renforcée.

   La vie… et le combat, les hauts et les bas continuent

Les mois passent, la vie est là! Elle continue, cahin-caha, avec ses périodes de douleurs, les peurs, les contraintes et les renoncements, mais aussi quantité de bons moments, de plus en plus fréquents. JeF est en permanence en lutte contre ses métastases toujours présentes. Si seulement il pouvait vivre une rémission, comme tant d’autres gens, la vie serait tellement plus simple! Mais non, la rémission ce n’est manifestement pas pour lui, ou en tout cas pas encore. Au quotidien, en dépit d’une meilleure qualité de vie retrouvée, tout ceci nous accompagne. Et il continue ses différentes thérapies, certaines momentanément, d’autres dans la durée.

Tous les trois mois, puis tous les six mois, il a des contrôles au CHUV. C’est à la fois indispensable et terrible. À chaque fois, il en est malade une dizaine de jours avant; ses diarrhées et ses malaises augmentent, ses nuits sont perturbées (donc les miennes aussi!); et la même chose après l’examen, dans l’attente des résultats. Ce sont toujours de très mauvaises périodes. Je ne peux en rien le rassurer; je voudrais tant pouvoir lui dire ne t’en fais pas, tu verras, ça sera bon, mais je ne peux pas, je n’en sais rien du tout; je ne peux que partager son souci, en essayant de lui rappeler son disque plus positif, sa lueur d’espoir. Et essayer d’y croire moi aussi!

Au bout de trois ans, ses métastases ayant trop évolué, le CHUV lui propose une nouvelle sorte d'intervention, la radiofréquence, afin de les brûler. Encore traumatisé par ses précédentes opérations, JeF est très partagé. Lui qui a toujours envie d’agir, c’est enfin possible… mais il a peur: comment vais-je supporterune telle intervention? Que pourront-ils réellement faire? Que va-t-il se passer après? Je ne me prononce pas; je n’ai pas la connaissance médicale et ne suis pas dans sa peau.

Il finit par se laisser convaincre par les médecins, et vivra deux interventions, avec tout ce que cela implique. Après l’une d’elles, il a de terribles douleurs dans le thorax qu’aucun médecin ni thérapeute n’arrive à expliquer ni à traiter; il souffrira énormément avant de finalement trouver une médecin à Berne qui, en quelques séances de thérapie neurale, parvient enfin à lui procurer le soulagement recherché. Ouf, un grand ouf… pour moi également!

Ces radiofréquences semblent efficaces… à court terme.

Mais quelques mois plus tard, alors que sa forme est plutôt bonne, à nouveau grosse désillusion: de multiples nouvelles métastases font leur apparition… Quelle déception! Et que de nouvelles angoisses! Tout est-il fini? On est alors dans le haut de la fourchette qui lui avait été donnée quant à son espérance de vie. Ces prévisions, exploitées au maximum, s'avèrent-elles justes? Quelle horreur! Non, impossible de croire ça, JeF en veut beaucoup plus; moi aussi! Et toutes les interrogations qui vont avec: pourquoi, pourquoi tout ça, alors que d’autres ont le privilège de guérir? C'est vraiment rude.

Puis JeF se ressaisit. Toujours convaincu par les différentes thérapies qu'il suit, par son régime alimentaire si strict auquel il ne fait aucun écart malgré les privations que cela entraîne, et par nos voyages au Brésil, il réunit une fois de plus toutes ses ressources. Tout est à reprendre, intensément; alors il s’y attelle. Au quotidien il reprend ses recherches et continue ses démarches. Quelle ténacité il a! Je suis admirative. Il est bien plus fort que moi!

 «Toujours convaincu par les différentes thérapies qu'il suit, par son régime alimentaire si strict, il réunit une fois de plus toutes ses ressources.»

   
   Un traitement vraiment très spécial

La prochaine aventure qui m’implique beaucoup se passe dans la région de Rome, avec un médecin qui s’est vu retirer son autorisation de pratiquer à cause de ses traitements contre le cancer à base de bicarbonate de soude. Malgré cela, cette approche particulière qui vise à alcaliniser le corps intéresse JeF; nous nous rendons donc en Italie, d’abord un jour afin de rencontrer cette personne et d’en apprendre un peu plus, puis une semaine (que je prends sur mes vacances) afin d’effectuer le début du traitement. Un cathéter lui est posé dans le bras, avec un tube descendant par une artère directement jusqu’au foie; tous les jours, matin et soir, il faut lui injecter un demi-litre de produit. Au début, c’est le médecin qui s’en charge, puis il m’apprend à le faire, afin que je puisse continuer à notre retour, le traitement devant durer plusieurs semaines. Ce n’est pas du tout évident pour JeF, ça lui provoque des douleurs thoraciques, il faut procéder lentement; mais il tient à ce traitement, il veut y croire.

À notre retour de Rome, tous les matins nous mettons notre réveil à 5h30 afin que je puisse lui faire cette injection, millilitres par millilitres, avant de me rendre à mon travail. Je deviens son infirmière… ou sa tortionnaire, car chaque jour ça devient plus difficile; il faut procéder très lentement et faire des pauses, car chaque petite quantité injectée lui provoque de grosses douleurs et des spasmes thoraciques, comme s’il faisait une crise cardiaque…; c’est vraiment inquiétant. Régulièrement je lui propose d’arrêter, c’est trop dur pour moi de lui provoquer ça. Mais lui, qui voit dans ce traitement un espoir d’amélioration, serre les dents, demande juste de faire de petites pauses pour qu’il puisse se reprendre, puis me dit de continuer. Et je reprends sa torture, quotidiennement.

Durant cette phase de traitement particulier, se sentant assez en forme, il tient à participer à une rencontre de voitures anciennes à Zoug, quatre jours durant desquels, avec son cathéter dans le bras, il ne peut pas conduire. C’est moi qui ferai le chauffeur de notre petite MG de 1954… qu’il me faudra, ni une ni deux, apprendre à prendre en main rapidement. Heureusement, ça se passe bien.

Nous continuons le traitement jusqu’à ce que cela n’aille vraiment plus du tout et qu’il doive se rendre à l’hôpital… où on enlève immédiatement tout ce matériel: fin du traitement, son artère s’était bouchée à plus de 90%. Sauvé in extremis!

La partie du traitement qui a pu être effectuée a-t-elle aidé JeF? Le mystère restera.

   

    Nouvel équilibre à trouver

Quelques mois plus tard, je suis épuisée, il y a des signaux d'alerte… Je prends conscience que j’ai un nouvel équilibre de vie à trouver. Je ne peux pas à la fois m’investir à fond dans mon travail, face auquel je ressens encore une pression supplémentaire puisque son revenu est très important pour nous, et consacrer tout le reste de mon temps et de mon énergie à JeF. Wonder Woman n’existe qu’à la télévision, je l’apprends à mes dépens. Je dois apprendre à me protéger, à recréer de l'espace pour des temps ou des activités juste pour moi, qui me font du bien. Qui veut aller loin ménage sa monture! Bien sûr, je continuerai à accompagner JeF, dont les nombreuses métastases restent stables et qui a pu retrouver globalement une bonne énergie. Même si je suis tellement heureuse et reconnaissante de pouvoir partager des activités avec lui, est-ce une raison pour ne vivre plus que par lui et pour lui? J’intègre donc de nouveau à ma vie des projets qui me sont propres: des massages, des sorties avec des ami/e/s, des randonnées, de la lecture, je consacre plus de temps au jardinage… Quel souffle d’air, quel bien ça fait!

En me ressourçant ainsi, je trouve des forces nouvelles pour l’accompagner, continuer à lui donner l’envie et la raison de se battre, et l’aider à le faire. N’est-ce pas là le plus utile à celui qui est dans la maladie? Prendre du temps pour soi n’est pas de l’égoïsme, c’est aussi faire un cadeau à l’autre en étant mieux à ses côtés.

Quant à JeF, même si c’est fort agréable d’avoir à ses côtés quelqu’un de toujours disponible, il comprend et m’y encourage même, en constatant à quel point ça me ressource. Belle preuve d’amour de sa part!

     JeF retrouve une bonne forme (en général!)

Plusieurs années passent. Si notre quotidien est toujours rythmé par ses différentes contraintes alimentaires et d’emploi du temps en lien avec ses nombreux rendez-vous médicaux ou thérapeutiques, ses douleurs ou ses malaises sont devenus moins fréquents, le tourbillon de la vie s’est calmé et les bons moments redeviennent presque la norme.

«Les moments plus durs sont à gérer au mieux, en espérant toujours qu'ils ne finissent pas mal. Quant aux bonnes périodes, nous les vivons avec délice et dans la reconnaissance.»

Nous retournons de nombreuses fois au Brésil, deux fois par an. Je prends la quasi-totalité de mes vacances pour l’y accompagner, ça lui fait tant de bien! Et à moi également, ces séjours apportent apaisement et forces nouvelles. J’apprécie ce lieu et ce cadre, qui me fait découvrir une spiritualité beaucoup plus concrète. J’avais grandi dans une famille très engagée de façon traditionnelle; là-bas je découvre une énergie pleine d’amour et de paix que l’on peut clairement ressentir; c’est très fort et très beau.

Si JeF n’a toujours pas le privilège de pouvoir vivre une rémission, son énergie est redevenue souvent bonne. Ses métastases n’évoluent pas, ni en grandeur ni en quantité, c’est déjà ça. Après un certain temps, les scanners montrent même, alors que cela était annoncé comme médicalement impossible, une diminution de leur nombre. Nous en sommes heureux et soulagés.

Jamais toutefois il ne relâche sa vigilance; vivre avec cette épée de Damoclès en permanence sur la tête lui est pénible. Il est toujours à l'affût de nouvelles pistes pouvant l'aider et expérimente diverses approches et produits… qu’il découvre parfois à l’étranger. Régulièrement sollicitée comme traductrice, je l’aide à comprendre ce qu’il trouve sur internet, et pour différents mails ou conversations téléphoniques.

Parfois cependant, où que nous nous trouvions, JeF a de fortes douleurs, se sent mal, et doit alors en principe manger ou boire quelque chose de chaud, et aller se coucher. En plus du mal-être, ces moments réactivent toujours les peurs: est-ce grave? Est-ce la maladie qui s’accentue? Je ne peux rien pour lui. Pendant qu’il se repose, trop angoissée, je ne peux pas vraiment m’occuper. Souvent, après une demi-heure ou deux heures, il se lève et revient comme si rien ne s’était passé… Et moi, je suis encore mal, je ne me remets pas instantanément en le voyant réapparaître. Lui c’était surtout physique, moi émotionnel, et il me faut un peu plus de temps. Drôle de décalage!?

Notre vie, maintenant, c'est ça. Les moments plus durs sont à gérer au mieux, en espérant toujours qu'ils ne finissent pas mal. Quant aux bonnes périodes, nous les vivons avec délice et dans la reconnaissance.

    Ses projets: aussi une thérapie!

Durant ces plusieurs années sans opération ni catastrophe majeure, JeF, quand il n’est pas en train de travailler à sa santé, profite de sa bonne forme et se lance dans des projets. Il est incroyable. Et ça le rend heureux.

Dès qu’il l’avait pu, il avait repris avec moi les saisons de concerts classiques que nous organisions ensemble depuis plusieurs années. Pour lui, jamais il n’a été question d’arrêter. Nous le ferons durant quinze ans.

Ayant retrouvé une bonne énergie, il construit un super cabanon de jardin digne d’un petit chalet, il contribue à sauver de la faillite un magasin bio de notre région en présidant une association créée ad hoc. Il conçoit et construit de magnifiques répliques de voitures Amilcar à l’échelle 0,66 qui vont séduire même des fabricants de petites voitures pour enfants, s’implique dans son club de voitures anciennes, et j’en passe.

Clairement, même s’il doit parfois adapter le programme et le rythme de ses journées selon son état, tout comme l'amour reçu et partagé, les projets le portent, lui occupent l'esprit, lui procurent du plaisir et la reconnaissance des autres: il n'est plus seulement un malade! C'est hyper gratifiant, et à l'évidence ça constitue également pour lui une très bonne thérapie. Ses yeux pétillants de vie, de joie, en témoignent…

Les projets sont son moteur.

Même skier… il adore, il se lâche. Tout à coup il se sent mal; il faut au plus vite rejoindre l’auberge la plus proche. À la buvette souvent, excepté une tisane, il n’y a rien qu’il puisse prendre, même le potage du jour contient crème ou gluten… Donc je prends le pli de préparer systématiquement un pique-nique adapté.

Lui qui skie comme un as, je lui suggère d’aller plus tranquillement pour garder son énergie un peu plus longtemps. Mais il ne veut pas: skier à fond lui fait plaisir et lui permet un moment d’oublier la maladie. Donc il se fait plaisir, moi aussi, et on fait avec les malaises et les pauses imposées. 

    Et voilà que je craque – Burn-out – Aide réciproque

J’ai beau être à côté d'un malade dont la vie est en jeu mais qui heureusement va plutôt bien depuis quelque temps, ça n'exclut pas que j’aie mes propres soucis et faiblesses… À la longue, mon travail très exigeant et en pleine réorganisation, dans lequel je m’investis beaucoup, ajouté à tout le reste, va s’avérer trop lourd pour moi. Je n’ai plus la force, je craque et tombe en burn-out.

Durant plusieurs mois, je suis «out». C'est JeF qui doit beaucoup plus prendre en main, les courses, les repas, la maison… Heureusement cela se passe durant cette période meilleure pour lui, les métastases sont toujours stables, il n’a que peu de moments de faiblesse exceptés ceux qui suivent ses très fortes diarrhées qu'il a fréquemment et qui l'épuisent… en plus de lui apporter du souci.

Je m’en remets, mais deux ans plus tard, suite à des circonstances particulières au travail avec l’arrivée d’un nouveau chef odieux, je re-craque. En plus de mon état émotionnel en miettes, mon corps lâche également: on me diagnostique deux hernies discales lombaires et une cervicale. Je dois être rapatriée d’un endroit magnifique en Grèce où JeF nous avait organisé un séjour pour justement nous reposer. Et cette fois, après de longs mois de récupération physique et psychique, deux nouvelles tentatives de reprendre le travail se soldent par un échec. Je dois me faire à cette nouvelle réalité, moi qui ai toujours essayé de me montrer forte: cette fois, c’en est vraiment trop, j’ai tout donné, tout mon être me dit STOP, je ne PEUX PLUS. Je ne remettrai plus jamais les pieds au travail!

Mais j’aurai ainsi, dès que j’aurai retrouvé un semblant de forme, la possibilité d’accompagner aussi ma maman âgée et de plus en plus handicapée, qui vit seule dans un autre canton.

Le temps passe; JeF et moi nous entraidons au quotidien au mieux, chacun assurant ce qu'il peut en fonction de son énergie et de ses diverses contraintes. Heureusementles phases les plus aiguës de mes soucis de santé n'ont jamais lieu en même temps que celles de JeF. La vie nous fait le cadeau que ce soit toujours en décalé et qu'ainsi nous ayons toujours la possibilité et la force de nous soutenir l’un l’autre. Et petit à petit, quand je ne vis pas de stress, que je peux dormir suffisamment et bouger beaucoup (c’est devenu indispensable pour moi!), je vais plutôt bien.

    Intervenir – Pas intervenir? – Et ensuite

Toutes les démarches entreprises par JeF, ainsi que son nouveau mode de vie, portent leurs fruits: il déjoue tous les pronostics médicaux. Tout ce temps de vie, plus d’une décennie désormais, c’est du bonus!

Ses métastases continuent à diminuer, jusqu’à n’être plus que trois. À la fois, ce n’est pas génial, ce serait tellement mieux s’il pouvait n’y en avoir plus du tout et que JeF puisse enfin être un peu plus tranquille. Mais en même temps, c’est extraordinaire!

Ces trois métastases restent stables longtemps, puis l’une se met lentement à grossir. Le médecin fait savoir qu'en plus elle est particulièrement mal placée. Il voudrait opérer car si elle grossit trop, ce sera très dangereux, il ne sera plus possible d’intervenir, et cela pourrait aller très vite, en une dizaine de jours. Je crois que JeF n'a pas entenducette dernière partie, ce délai. Pas pu ou pas voulu? Très marqué par le fait qu’après les interventions précédentes les métastases se sont démultipliées, par deux fois il refuse l’opération. Une fois encore, je me garde bien de donner mon avis; d'ailleurs je n'en ai pas! Comment pourrais-je? Mais ce que j’ai entendu me panique; je ne le relève pas devant lui, il a assez de soucis comme ça sans lui faire porter en plus le poids de mes propres peurs.

Dans les semaines et les mois qui suivent, chaque fois qu'il a de nouveau un malaise, j'ai très peur: est-ce ce dont a parlé le médecin qui se produit? Je n'ose rien lui montrer, je ne lui en parle pas, ça ne ferait qu'empirer son état; mais je suis mal. Je donne toutefois mon maximum pour le soutenir au mieux.

La métastase continuant à grandir, le médecin devient plus insistant. Selon lui, on ne peut plus retarder, il FAUT intervenir. Face au souci de JeF quant au risque d’apparition de nouvelles métastases, il lui affirme que cela ne se produira pas après cette intervention. Sur cette base, JeF se sent obligé d’accepter et subit cette opération. S’ensuivra une période de grosses douleurs qu’il mettra longtemps à pouvoir dompter.

Malheureusement, peu après, ce que JeF redoutait se produit: de nombreuses nouvelles métastases font leur apparition, comme à la suite des interventions dix et treize ans auparavant. Quelle galère, désespoir profond pour tous les deux. C’est une nouvelle fois tout qui s’effondre: malgré tous les efforts entrepris, les progrès atteints sont réduits à néant, sa vie est de nouveau fortement en danger. Il est dans la peur; et aussi dans une grande révolte envers ce médecin, estimant qu’il s’est fait forcer la main et qu’il n’aurait jamais dû accepter cette dernière opération. Pour ma part, je l’écoute, je compatis… sans pouvoir faire abstraction du fait qu’on ne sait pas ce qu’il se serait passé s’il n’avait pas subi cette intervention. Mais ça, on ne le saura jamais. La révolte ne sert à rien, et en tout cas n’aide pas.

Dans ce nouvel abîme, JeF doit rassembler ses dernières ressources pour ne pas perdre courage, ne pas abandonner, et continuer à lutter d’autant plus intensément, avec les approches médicales et les autres.

    Chimiothérapie

Finalement, son oncologue lui propose une chimiothérapie d’une nouvelle sorte qui cette fois apparaît envisageable pour lui, avec des comprimés à avaler quotidiennement. Il la suit durant plus de trois ans, mais en subit de nombreux effets secondaires: quantité innombrable d’aphtes au point qu’il ne peut parfois presque plus manger, zona sur la tête, et même développement d’une polyneuropathie qui cause d’atroces douleurs dans les pieds, puis dans les jambes et les mains, surtout durant les nuits. Même s'il fait le maximum pour ne pas me déranger, fréquemment c'est beaucoup trop fort, ce n'est pas possible: je sens ses membres se raidir, je le sens bouger pour tenter de faire passer, l'entends souffler de douleur. Je passe alors mon bras autour de son corps pour lui apporter un peu de réconfort; c’est peu de chose, mais c’est au moins ça! Quand ses jambes sont totalement «engourdies», il doit se lever, mais elle est ou elles sont bloquées, l’immobilité est insupportable, tout mouvement est atroce… Je me lève alors souvent aussi, pour qu’il puisse s’appuyer sur moi et me sentir avec lui. Nous serrer dans les bras est réconfortant.

«Malgré tous les efforts entrepris, les progrès atteints sont réduits à néant.»

Bien que les nombreuses métastases soient restées stables durant ces trois ans (grâce à la chimio? aux autres démarches? au cumul du tout?), il doit finalement l’arrêter, ce n’est plus supportable. La polyneuropathie diminue d’intensité, mais demeure et fait désormais également partie de sa vie.

    Partager

Durant toutes ces années, devrait-il éviter de me partager ses malaises, ses angoisses? Il me pose la question de temps en temps, dans l’idée de me protéger. Clairement ma réponse est non. De toute façon je les vois sur son visage. Qu'il me cache un pan de sa vie, un pan si important, je n'aimerais pas du tout, j'aurais l'impression de vivre avec un étranger… et pourrais encore moins l'aider! Est-ce ça, une vie de couple? Pas pour moi. Même si je souffre en partageant ses soucis et ses questionnements, je souffrirais encore davantage en ne les partageant pas et me sentirais très seule, comme lui, chacun dans notre solitude.

De plus, comment se préparer à ce qu’il peut potentiellement arriver, si on n’a pas les informations? Est-ce là faire un cadeau?

Malgré tout, un tel partage n’est pas forcément facile, ni pour l’un ni pour l’autre. En effet, lorsque JeF revient avec un résultat de scanner mauvais, ses émotions sont là aussi- le choc, le souci, la panique, la révolte, l'incompréhension, les questionnements… - que je reçois à l’état brut. Lui-même ne parvient pas forcément à exprimer ce qu’il ressent alors. Il ne m'est pas toujours facile de recevoir ce qui vient… ou de deviner ce qui ne vient pas (!), ni de trouver immédiatement la réaction qu’il souhaiterait à ce moment-là: trop angoisser avec lui, trop pleurer, n'est-ce pas l'enterrer avant l'heure? ou à l’inverse, faire preuve de plus de calme et de sérénité, cela ne peut-il pas être compris comme un détachement fort mal à propos? Je fais du mieux que je peux, sans me demander l’impossible. D'autant plus que j'ai alors aussi mes propres émotions à gérer; celles-ci passent au second plan, ce qui est absolument normal dans notre situation, mais pas évident à vivre pour autant! Cela crée parfois quelques incompréhensions et alors beaucoup de tristesse de part et d'autre. Puis l’intensité émotionnelle diminue, et la sérénité revient entre nous.

Parfois il en parle à notre entourage rapidement. D'autres fois, il a besoin d'un peu de temps.Il m’arrive d’être ébahie d’entendre ce qu'il dit aux autres quelques heures ou jours plus tard, quand il a pu intégrer, avoir contact avec ses médecins et thérapeutes et mettre quelque chose en place. Même si l’angoisse reste présente, l’émotion la plus intense est retombée, ses informations sont juste factuelles et il est à nouveau acteur. L’entourage est alors loin de se douter de ce qu’il s’est passé peu avant…

D’autre part si, pendant ce temps intermédiaire, quelqu’un me demande de ses nouvelles, que dire? Que tout va bien? Je ne peux pas. Alors dévier…? Rester abstraite? Et qu'en est-il d'informer au moins sa famille la plus proche? Moi j'ai besoin de partager, alors que faire? Me taire et garder tout pour moi? Exercice d’équilibrisme… jusqu'à ce qu’il se sente prêt à en parler.

    Encore une démarche bien particulière

Toujours en travail pour sa santé JeF découvre une approche contre le cancer basée sur une alimentation cétogène complétée par la prise de divers produits visant à faire baisser le taux de la glycémie dans le corps, à effectuer sur une durée de plusieurs semaines. Convaincu que cela vaut à tout le moins la peine d’être essayé, et tout content de pouvoir à nouveau, le temps de ce régime, apprécier des saucissons et autres bouts de gras, il se procure les produits qu’il peut et il se lance…
Nous voilà confrontés à un nouveau changement total d'alimentation. Personnellement je ne veux pas ne manger que du gras; donc il y a lieu de préparer deux repas différents.Heureusement il y contribue!

Plusieurs fois, il a soudainement des accès de grande faiblesse, voit trouble et doit immédiatement s'asseoir. Ça m'inquiète, mais lui, il fait avec. Quand il a quelque chose dans la tête et veut y croire…!

Un jour, je le retrouve debout sur le canapé du salon, se tenant au mur pour garder son équilibre, ne pouvant m’expliquer ce qu’il fait là et, le regard hagard, ne trouvant plus le moyen de redescendre. Je vais l'aider, mais c'est angoissant. Je me renseigne et apprends certains aspects délicats de la démarche consistant en épisodes d’hypoglycémie, avec le risque de s’évanouir, voire de tomber dans le coma, le cerveau n'étant plus assez alimenté. Je lui en fais part. Il continuera encore un moment la démarche en faisant plus attention, mais ne la terminera pas. Ces quelques semaines auront été assez épiques!

«En permanence, faire face aux nouvelles situations sans jamais baisser les bras, chercher cet équilibre qui permet d'avancer, et voir que la vie est là.»

    Et la vie continue… en bonne forme!

Plus de six ans après la dernière intervention, ses nombreuses métastases sont toujours présentes, mais restent heureusement stables. Nous pouvons vivre quasi normalement… dans ce qui est devenu notre normalité avec les repas adaptés, les baisses de régime ponctuelles (pour lesquelles j’ai, lorsque nous sommes ensemble, en général aujourd’hui encore toujours dans mon sac quelque chose pour lui), les douleurs digestives ou thoraciques, et celles liées à la polyneuropathie.

Mais de façon générale JeF va bien, et souvent même très bien! Il continue à mener quantité d’activités. Quel enthousiasme, quelle énergie il a, c'est impressionnant. C'est même parfois difficile de le suivre… en tout cas, je n’ai pas le même rythme!

Certes, avec son système immunitaire affaibli, il nous faut faire très attention qu’il n’attrape pas de virus qui traîne. Lorsqu’il attrape quand même le Covid, alors qu’il est encore sous chimio, la situation est vraiment critique. Il est dans un état catastrophique et nécessite une prise en charge intense. Je suis au téléphone tous les jours, voire deux fois par jour avec sa médecin ange, qui passe même une fois à domicile pour s’assurer qu’il est possible de continuer ainsi, ce qui permet qu’il reçoive ses soins totalement personnalisés et sans être confronté à tout ce qui traîne dans les hôpitaux surchargés. Nous organisons pour ainsi dire l’hôpital à la maison. À nouveau, je deviens son infirmière, à plein temps, jours et nuits. Il a trop mal à la gorge, ne peut plus rien avaler, alors comment le faire quand même boire un minimum, lui faire avaler ses nombreux médicaments, à intervalle les uns des autres? Je suis chaque heure ou moins à son chevet pour quelque chose. Il a tellement de fièvre qu’il tremble de tous ses membres et transpire tellement qu’il faut changer son lit totalement plusieurs fois par vingt-quatre heures; les lessives tournent en continu…

Il s’en remet heureusement.

Nous devons parfois supprimer des invitations et projets parce qu'une des personnes concernées ne se sent pas très bien; c’est encore le cas durant la période où j’écris ce texte. Nous avions prévu un week-end avec des amis à la montagne. Nous nous réjouissions beaucoup, et eux aussi. Mais ils nous informent qu’elle tousse depuis quelques jours et que ça ne passe pas malgré les médicaments. On ne peut pas prendre de risque, notre week-end est annulé…

Francine Carillo a écrit «Apprivoiser le perpétuel déséquilibre qui fait passer d’un pas à l’autre, il n’y a d’avancée qu’à ce prix». C’est exactement ça: en permanence il y a lieu de nous adapter à ces montagnes russes, faire face aux nouvelles situations sans jamais baisser les bras, chercher cet équilibre qui permet d’avancer, et voir que la vie est là; elle est différente de ce que nous avions imaginé, mais elle nous fait plein de cadeaux, ne serait-ce que la Vie elle-même!

  

Expériences - Réflexions - Apprentissages

Cela fait très exactement vingt ans, au moment où j'écris ces lignes, que tout ceci a commencé.

Lors de notre décision de nous marier, nous avions eu de grandes discussions sur comment nous envisagions notre vie, les choses et valeurs importantes pour nous, nos projets personnels et communs, etc.Et ce que nous ne voulions surtout pas: qu’avec les années, la routine s'installe.Ce dernier point, la vie s'en est chargée!!! Sa maladie a sonné pour nous comme un cataclysme, et l’a transformée de fond en comble.

La mort fait partie de la vie, nous le savons tous. C'est généralement assez abstrait, et heureusement, parce que c'est plus facile ainsi. Lorsque la maladie nous accompagne au quotidien et nous amène à devenir plus conscients de notre finitude, tout change.

Pour le malade, ce qui lui arrive est terrible. Il doit faire appel à toutes ses ressources et un bon entourage est très important.

Pour l’accompagnant, apprendre à faire face à la maladie de l’autre, à l’impuissance devant la souffrance ou peut-être la mort de la personne que l’on aime, n’est pas une simple affaire: c’est un travail de chaque jour. Tenir bon et apprendre à se projeter dans la vie avec… ou sans… lui. Dans ce contexte, malgré tout l’amour et la bonne volonté qu’on peut y mettre, évidemment un soutien est nécessaire.

    Famille et amis

Pour moi, le premier soutien, mon pilier dans les phases critiques comme dans la durée, ce sont ma famille (je parle là aussi de ma belle-famille, qui est devenue ma famille) et mes amis. Ils sont très importants pour moi, je les aime, ils m’aiment, et je peux toujours m’appuyer sur eux.C’est un sacré privilège!

Dans les périodes les plus dures, en plus de s’enquérir de JeF, conscients que pour moi également, à côté, c’était difficile, ils ont été très attentionnés à mon égard.

Parmi ce qui m’a le plus touchée:

Les messages tels que "que la force te soit donnée aujourd’hui", "un jour après l’autre", "courage et force, Mireille, tu m'es, tu nous es chère" ont été très porteurs et m'ont clairement aidée à tenir bon. En plus, formulés comme ça, ça n'attendait même pas de réponse. Je pouvais juste «prendre», prendre l'amour et l'énergie qui m'étaient ainsi apportés. Leurs auteurs savaient bien que je les informerais dès qu'il y aurait du spécial, ou prenaient, quand c’était possible, directement contact avec JeF.

De même, l’attention exprimée par Et toi, ça va? et De quoi aurais-tu besoin, comment puis-je t'aider? est tellement importante que je souhaiterais vivement y rendre attentive toute personne proche d’un/e accompagnant/e. Même si évidemment ça ne va pas, et même si on n’arrive pas forcément exprimer ce dont on a besoin, tout notre esprit étant focalisé sur le malade, qu’on s’enquière de nous aussi, ça fait du bien.

Personnellement, si j’avais pu faire un «arrêt sur image» et prendre un peu de recul, j’aurais alors sûrement demandé une aide pour quelques courses ou un petit repas déposé devant ma porte que je trouverais à mon retour de l’hôpital… Le gazon tondu par les voisins, ce sont eux qui ont vu et spontanément fait; le blog pour la liste des aliments adaptés ou pas, c'est ma filleule qui y a pensé; l’idée des bains thermaux à côté de l’hôpital, c’est ma belle-sœur; et j’en passe.Un entourage avec les yeuxet l'esprit ouverts, des suggestions (avec la tolérance qu'elles ne soient éventuellement pas suivies, ou pas à ce moment-là) ou des aides spontanées, ça vaut de l’or!

    Contexte professionnel

Même si j’avais continué à donner le maximum que je pouvais à mon travail, j’ai pu bénéficier, durant les premières années de maladie de JeF et lors de ses différentes opérations, d’une souplesse professionnelle qui m’a vraiment été très précieuse pour pouvoir être au maximum à ses côtés, l’accompagner lors de ses différentes démarches et séjours en Suisse ou à l’étranger.

Je voudrais donc inviter tous les employeurs qui me lisent à accorder une grande souplesse d'horaires et de congés aux proches aidants, dans la mesure du possible. Ils ont souvent BESOIN de leur travail, pour différentes raisons, mais aussi BESOIN d’être avec leur proche. En aidant l’accompagnant, vous aidez également le malade. D’une pierre deux coups! Et peut-être même d'une pierre trois coups, le troisième en votre faveur, car des collaborateurs ainsi humainement traités auront envie de rester à votre service!

    Soutien thérapeutique au sens large

La joie et l'envie de vivre et de réaliser des projets sont certainement au cœur du chemin de guérison. Mais si le malade se sent seul, non écouté, non aimé, comment pourrait-il avoir le courage et l’envie de se battre? Comment pourrait-il encore vivre des moments de joie dans la durée (inconnue) qu’il lui reste à vivre?

J’aimerais dire aux membres du corps médical qui me lisent à quel point l’attitude humaine témoignée, l’écoute, le temps accordé pour des explications, l’intérêt exprimé au malade pour ce qu’il ressent, comment il vit, comment il s’organise, qui l’entoure, etc. sont importants et bienfaisants.Un malade a certainement autant besoin d’une telle attention que de médicaments! Pour JeF, lorsqu’il a rencontré ça, ça a été tellement précieux! Ça l’a aidé à prendre sa vie en main.

Quant aux conjoints ou autres accompagnants proches, ils ont aussi besoin de comprendre, besoin qu’on leur accorde de l’attention. Eux qui sont avec le malade vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils font partie de la thérapie. S’ils s’épuisent ou craquent, le malade en pâtit directement. Il est donc très important de ne pas les laisser s’épuiser à côté des malades. Cet aspect préventif n’est peut-être pas assez pris en compte…

Tout le monde pourrait s’inspirer avec la lecture du livre du Dr Siegel, certes déjà ancien mais toujours tellement d’actualité: «L’amour, la médecine et les miracles».

Et aux autres proches aidants: toutes les situations et tous les parcours sont à l’évidence différents, mais il est certainement toujours essentiel d’accepter notre propre vulnérabilité et de trouver à la fois des aides pratiques et des moyens de nous ressourcer. Trouvez ce qui vous fait du bien, ce qui vous correspond, et permettez-le-vous. C'est certes plus facile à dire qu'à faire dans les débuts et dans les périodes critiques, mais essentiel pour tenir dans la durée. Telle une carafe qui doit toujours être pleine pour pouvoir verser un verre d’eau (au malade), il faut donc toujours la remplir; on ne peut donner que ce qu’on a!

«Si le malade se sent seul, non écouté, non aimé, comment pourrait-il avoir le courage et l'envie de se battre?»

Prendre soin de soi, c'est faire un cadeau à tous les deux, pour permettre de continuer ensemble, le plus longtemps possible.

    Ne pas oublier de penser à soi – sa propre santé

Personnellement j’avais trouvé assez rapidement comment répondre à mon besoin d’être moi-même écoutée, comprise et aidée; et j’ai réintroduit des temps pour moi, des activités qui me sont propres et bénéfiques quand la vie m’en a fait comprendre la nécessité.

Mais je commettais des erreurs au niveau de l’alimentation. J’étais partie du principe que manger comme lui ne pouvait que m’être favorable aussi. Oui, mais pas tout! Je découvrirai ainsi que certains aliments sur lesquels JeF met l'accent ne sont pas aussi bons pour moi (p. ex. le thé vert à forte dose ne convient pas à mon estomac et me cause un problème d’acidité). Et la suppression d’autres aliments me crée des manques et des déséquilibres, pour diverses raisons liées à mon propre organisme. On ne fonctionne pas tous de la même façon; il a fallu réajuster.

Par ailleurs, j’avais régulièrement mal au ventre, des diarrhées subites et fortes, le ventre gonflé, mais je faisais avec, comme on dit. Ce n’est pas bien grave face à ce qu’il endure lui; ma vie n’est pas en jeu, je ne vais quand même pas me plaindre de quelques difficultés de digestion. Et je ne m’en préoccupais pas plus que ça, même si ça amenait parfois des situations quelque peu embarrassantes.Le problème s’accentuant, j’ai finalement quand même consulté, et on m’a découvert plusieurs intolérances alimentaires, dont une forte aux produits laitiers et aux œufs… Or pendant toute une période je mangeais, comme lui, un œuf tous les matins… Pas bon du tout pour moi, en fait! Quant aux produits laitiers bovins, ils ont été faciles à éliminer, on avait déjà tout à la maison; j’ai simplement arrêté de m’acheter des yaourts de vache quand j’en achetais de brebis ou chèvre pour lui; tous deux au même régime à ce sujet-là! Ah, si je m’étais écoutée avant, cela m’aurait bien facilité la vie et j’aurais profité de ce nouveau confort nettement plus tôt, parce que l’amélioration a été assez radicale! Mais, obnubilée par JeF, je m’étais négligée. Erreur, même à côté d'un malade grave, il ne faut pas s'oublier.

    Voir autrement

Pour accepter, continuer, durer, il a été et est encore important pour moi de savoir porter mon attention non pas sur ce qui n'est plus, mais sur toutes ces nouvelles choses que, du fait de la maladie, nous avons pu ou pouvons découvrir et vivre.

Pendant toutes ces années si mouvementées, bien sûr que…

… Il y a les périodes d'angoisses, avec toutes les autres émotions et réactions qu'elles entraînent. Mais… il y a tellement d'autres bons, souvent très bons moments!

… Moi qui aimais voyager et découvrir le monde, ça a bien changé: la quasi-totalité de mes vacances a été consacrée à l’accompagner dans ses différentes démarches. Mais ça a valu la peine, ça lui a fait tellement de bien! Et quel bonheur d’avoir reçu ce temps de bonus pour nous permettre de continuer notre vie ensemble! En plus de cela, j'y ai aussi trouvé mon compte, avec notamment la semaine de stage méditation&croyances et les séjours au Brésil: les voyages au profond de soi-même, pour se découvrir réellement et trouver la paix intérieure, ne sont-ils pas en réalité parmi les plus beaux des voyages? Très régulièrement des temps de méditation m’accompagnent; j’aime commencer mes journées avec un tel moment; il me semble qu’ensuite j’ai l'esprit plus calme et plus lucide; et ça m'aide.

Et en 2023 sa bonne forme et ainsi que des aménagements trouvés pour ses traitements ont permis que nous partions un mois entier au sud de la France en camping-car; expérience totalement nouvelle pour nous, et très pratique pour avoir toujours sous la main les médicaments et la nourriture appropriée. Quel plaisir!

… Beaucoup de notre argent a été dépensé. Mais à quoi aurait-il servi une fois JeF dans la tombe? N’était-ce pas finalement un investissement pour la vie?

… Il y a certaines contraintes pour nos sorties, et nous sommes devenus, avec son régime alimentaire si particulier, des gens plus compliqués à inviter. Mais il y a toujours des possibilités et des gens aimants prêts à consacrer le temps nécessaire à trouver des menus adaptés et à cuisiner autrement. Certains nous remercient même de leur faire découvrir de délicieuses recettes! Et quand nous faisons des invitations, les gens apprécient!

… Je voudrais parfois vivre plus d’activités en commun, mais cela est contrarié par son agenda médical et thérapeutique bien rempli, par ses périodes ou moments ponctuels de mal-être, ou par… les périodes où il est tellement en forme, tellement enthousiasmé par la vie qu’il remplit ce temps donné avec de super projets qui lui tiennent à cœur. Ceux-ci lui apportent de la joie et contribuent à le maintenir en vie! Et j’ai moi aussi mes activités!

… Je suis devenue, en plus de son épouse, par périodes également sa secrétaire générale particulière comme j’aime à me décrire, son infirmière, sa traductrice, son chauffeur, et j'en passe… Mais au moins, tout ce que j’ai appris, par le passé ou sur le tas, a été utile; et… il est là!

«Ne pleure pas sur ce que tu as perdu. Lutte pour ce que tu as», comme l’a écritLaetitia Colombani dans son livre «La Tresse».

     Quelques cadeaux

Ce parcours de vie imprévu (qui fort heureusement continue!), ces deux décennies très loin d’être un long fleuve tranquille m'ont par ailleurs beaucoup apporté.

Le fait que la médecine, excepté les opérations, n’ait pendant longtemps pas pu proposer à JeF de traitement a peut-être été une chance: lui qui tenait et tient tellement à vivre a été forcé à chercher d’autres alternatives et à l’évidence celles-ci, à la fois souvent plus douces et plus humaines, ont contribué à son bonus de vie et par là à notre bonus de vie en commun, et à une vie sur plusieurs plans d’une meilleure qualité.

«La conscience de la finitude a clairement apporté une nouvelle dimension à notre vie, à ma vie.»

Nous avons appris énormément sur une quantité de thérapies, dont certaines m’aident aussi selon ce que je traverse.

Sa combativité, sa ténacité, sa volonté d’y croire toujours, envers et contre tout, sont pour moi source d’inspiration et de courage dans mes propres difficultés ou pour mes différents projets.

Tout cela m’a amenée à une vie plus consciente et un rythme moins effréné, avec des temps d'arrêt et ressourcement bienfaisants.

La nourriture beaucoup plus saine et équilibrée (si je veille à mes quelques spécificités propres!) m’est à l’évidence bénéfique aussi.

Nos relations se sont modifiées avec le développement derelations de qualité tandis que d’autres qui n’existaient que par pure convenance se sont estompées d’elles-mêmes. Elles sont devenues plus authentiques, profondes et chaleureuses, en particulier avec notre entourage dont nous avons pu expérimenter très concrètement la profondeur de l’amour. Et avec quantité de nouvelles personnes qui, de par cette situation, ont croisé notre chemin: parfois ce sont des gens malades en quête de mieux, ou leur entourage, avec qui nous avons pu avoir de magnifiques partages sur leurs propres états d’âme, leurs recherches et réflexions sur le sens de la vie, la mort, leurs ressources… Des rencontres aussi avec ceux que j’ai envie d’appeler des anges. Pas des anges blancs avec des ailes dans le ciel, mais des anges humains, en particulier ceux du monde médical et thérapeutique qui savent aller au-delà de leur science en y ajoutant empathie et amour, et qui - plutôt que de condamner le malade au désespoir et le laisser seul avec ce verdict -, sans promettre ce qu’ils ne peuvent pas, prennent le temps de s’intéresser à lui et à son entourage, d’être des accompagnants dans l’épreuve et, tant que faire se peut, des sources d’espoir et de réconfort.

Tout ce parcours, les différentes approches découvertes, les anges rencontrés, m’ont ouverte à des intérêts nouveaux et m'ont fait prendre conscience qu’il me manquait une dimension plus humaine à mon activité professionnelle certes très intéressante mais très rationnelle et organisationnelle. Ah, si je pouvais être ne serait-ce qu’un petit bout d’ange pour d’autres! J’ai donc entrepris diverses formations: en thérapie spirituelle, en développement personnel et en accompagnement. Même si je n’en ai encore rien fait de professionnel ni d’officiel à ce jour, elles m’ont été utiles à moi et me servent à diverses occasions; et le jour viendra, quand ça sera le moment, où je pourrai plus concrètement m’engager et accompagner d’autres personnes en mettant à profit ces formations.

La conscience de la finitude, et tout ce que la maladie de JeF nous a amenés à traverser, a clairement apporté une nouvelle dimension à notre vie, à ma vie. «Si toute vie va inévitablement vers sa fin (certaines malheureusement plus vite que d’autres!!!), nous devons, durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir»; oh oui, le peintre Chagall avait bien raison!

N’est-ce pas ça, finalement, la vraie vie?

  

Le mot de la fin

Lors de la maladie grave du conjoint…

… Des raisons diverses et variées peuvent amener à ce que, pour l'accompagnant, continuer ensemble n'est plus envisageable; alors il s’en va.Cela peut choquer: ne reste-t-on avec l’autre que lorsqu’il va bien? Ne veut-on de lui que le meilleur et le jette-t-on quand ce n’est plus le cas? Pas si simple. Peut-être est-ce trop dur pour lui d'envisager la vie différemment, avec tout ce que cela va imposer au quotidien de contraintes et de perturbations? Et être confronté de façon si directe à la maladie et à la mort est très remuant; même si c’est l’autre qui est touché, ça met face à des questions existentielles; ça peut faire très peur. Alors pour certains, c’est trop lourd… Aussi peut-être parce que le malade lui-même change/a changé, qu’il n’est plus vraiment la personne avec laquelle on s’est engagé, et que ce n'est plus du tout évident de se retrouver sur la même longueur d'onde. Ou pour d'autres raisons encore, plus ou moins conscientes et propres à chaque personne et sur lesquelles, vu de l’extérieur, on ne saurait porter un jugement.

… Dans d’autres cas, l’accompagnant n’est pas impliqué. Le malade vit seul sa tragédie, souvent pour "protéger" son conjoint; il ne partage ni ses douleurs, ni ses craintes, ni les réflexions terribles qui lui passent parfois par la tête.Il fait le maximum pour offrir à l’autre encore le meilleur de lui-même et pour éviter que son emploi du temps ou sa qualité de vie n’en pâtisse… Il peut même lui arriver de renoncer à aller assister à une conférence sur une approche intéressante et potentiellement utile, parce que son conjoint a invité des amis ce jour-là; ou de renoncer à se rendre dans une autre ville pour y suivre un traitement, afin de passer plutôt ce temps avec la personne qu’il aime… À chacun ses conceptions et ses priorités. Choix du malade? Vœux du partenaire? Des deux?

… Reste l’option de tout partager, tout traverser ensemble. C'est l'option qui a d'office et naturellement été la nôtre. Sans jugement sur les précédentes (elles ont chacune leur raison d'être et correspondent à certains), pour moi, sans avoir aucune idée de ce que j’allais traverser, il était évident que je resterais à ses côtéset que je lui demandais de tout me partager, qu'il s'agisse des diagnostics médicaux ou de ses états d'âme. Si j’avais su tout ce qui allait l’attendre, et m’attendre, aurais-je eu la force et le courage à ce moment-là? Cela m’a été donné à mesure des jours, des semaines, des mois, des années de bonus. … et me sera donné jusqu'au bout, j'en suis convaincue. Et d'ailleurs, qui sait, le bout, c'est peut-être moi qui l’atteindrai en premier…?! Quoi qu'il en soit, tout ce que nous aurons pu partager, la nouvelle dimension que cela aura apporté à notre vie, toutes les découvertes, tous les anges que nous aurons eu le privilège de rencontrer, tout cela est et aura été cadeau. Merci à la vie et à ses cadeaux.

Merci aussi à l'amour qui nous aura tant aidés: celui qui unit notre couple, celui reçu de nos familles, amis, médecins et thérapeutes qui nous ont accompagnés et nous accompagnent encore sur ce chemin, et l’amour divin également. L’amour déplace des montagnes!

 

PS: dans les jours où j'arrive à la phase finale de la rédaction de ce texte, alors que nous allons fêter nos vingt ans de mariage dans trois mois, fête qui sera aussi vingt ans d'hymne à la vie, JeF reçoit les résultats de ses derniers examens. Les plus mauvais résultats depuis fort longtemps… Comme une réplique sismique.

Pour plus de renseignements sur son parcours raconté par lui-même, voir l’article «Aller-retour au cœur de l'espoir», Revue de Santé intégrative, Vol. 1, 2023.