Dossier

Comment le syndrome post-Covid a bousculé le transfert de connaissances entre les patients et les médecins

Cet après-midi de mai 2022, le soleil éclabousse les cabinets de consultation du Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), qui accueillent des patients atteints de syndrome post-Covid. Assise sur la table d’examen de l’un d’entre eux, une jeune femme attend des réponses. Depuis qu’elle a contracté le Covid-19, sa vie n’est plus comme avant.

Quand on la voit, impossible de penser au premier abord qu’elle vit au ralenti depuis des mois – le Covid long est un handicap invisible. Mais plus l’entretien avance, plus la fatigue s’installe et plus elle cherche ses mots. En répondant aux questions de l’interne, elle raconte son quotidien. Cet épuisement immense qui la force à dormir durant la journée, l’empêche de travailler comme elle en avait l’habitude et de sortir avec ses amis comme une personne de son âge. Les difficultés de concentration et le brouillard mental. Les insomnies nourries par l’angoisse de ne plus jamais se sentir comme avant et de la culpabilité de ne pas être à la hauteur.

« Je ne me reconnais plus », lâche-t-elle. C’est d’autant plus difficile à vivre pour elle que ses proches ne comprennent pas et tendent à lui tourner le dos. À la fin de la consultation, le médecin met enfin les mots: « Vous souffrez d’un syndrome post-Covid.» Elle pleure, épuisée par cette heure à parler d’elle mais aussi parce que ses maux sont écoutés et reconnus: elle est enfin prise au sérieux. Dans le service, on en a déjà vu des centaines comme elle depuis deux ans. Alors, en suivant le protocole précis de la consultation, le médecin explique ce que l’on sait sur ce syndrome et ce que l’on ne sait pas. Il donne à sa patiente des conseils pour prendre soin d’elle et aménager son quotidien et lui prescrit un examen complémentaire afin d’écarter un éventuel trouble hormonal supplémentaire dont le traitement, simple, pourrait permettre un petit allègement de la fatigue – «même un petit mieux, c’est bien». Il conclut sur une note rassurante: «Le syndrome post-Covid s’estompe et disparaît avec le temps, mais c’est souvent long. Essayez de ne pas vous mettre la pression.» Ce sont des mots qui font du bien car, forts de l’expertise de toute une équipe, ils sonnent simplement honnêtes et sans fard. Un suivi est organisé et un arrêt de travail posé. Apaisée et enfin écoutée, la jeune femme, qui faisait autrefois tous ses trajets à vélo, rentrera en taxi avant de faire une sieste pour récupérer de cet entretien aussi salvateur qu’épuisant.

Aux HUG, les médecins ont pris très tôt au sérieux ce qui ne s’appelait pas encore le syndrome post-Covid. En effet, dès lors que des patients ont commencé à rapporter des symptômes persistants après une infection au SARS-CoV-2, ils ont tendu l’oreille et depuis, ils n’ont jamais cessé, malgré l’acquisition d’une certaine expertise.

Le post-Covid, des malades lanceurs d’alerte

L’histoire du syndrome post-Covid, c’est l’histoire d’un trouble découvert par les patients qui ont ensuite fait remonter leurs symptômes aux médecins qui voulaient bien ouvrir leurs yeux et leurs oreilles. En francophonie, les malades commencent à évoquer le trouble sur les réseaux sociaux dès avril 2020. C’est à ce moment que, sur Twitter, un hashtag #aprèsJ20 est lancé par une jeune psychologue qui s’étonne de ressentir encore des difficultés 32 jours après l’infection. Elle écrit alors: « Manque d’information pour les gens qui continuent à avoir des symptômes au-delà de J20. Ça serait bien de mettre en commun nos ressentis pour se sentir moins seul.e.» Puis, une quinzaine de jours après: « J’ai lancé le #apresJ20 le 12/4 à J32 du #Covid_19 quelques jours après une courte hospitali- sation. Je voulais qu’on se regroupe, qu’on mette en commun nos symptômes, doutes et questions. Que l’on fasse circuler les infos. Pour être moins seul.e.s, pour être entendu.e.s. Pour prévenir du danger. Et nous sommes de plus en plus, ce qui est à la fois terrible car cela veut dire que cette maladie n’est pas celle qu’on nous présente et à la fois très aidant: je trouve un soutien énorme dans nos partages d’expériences. J’espère que vous aussi. J’espère qu’on va être pris.e.s en compte.»

«Les réseaux sociaux apparaissent comme un lieu privilégié – sinon le seul – d’écoute et d’aide pour les malades.»

Les réseaux sociaux apparaissent alors comme un lieu privilégié – sinon le seul – d’écoute et d’aide pour les malades.

Pour remettre les choses dans leur contexte général, rappelons qu’en avril 2020, la première vague déferle sur l’Europe et les consultations en ambulatoire sont fermées. Les médecins sont, pour la plupart, très occupés à soigner les formes aiguës du Covid-19. En outre, il n’existe que de rares systèmes de suivi des personnes positives et non hospitalisées. De fait, il est ardu de connaître leur état dans les jours et les semaines qui suivent l’infection. C’est d’autant plus vrai que les tests PCR font souvent défaut et que le diagnostic des formes bénignes est établi sur la base de symptômes spécifiques comme la perte de l’odorat.

Face aux plaintes exprimées sur les réseaux sociaux, les spécialistes émettent des doutes et ont tendance à rapporter le tout à des troubles somatoformes causés par l’anxiété relative aux (semi) confinements et à la situation pandémique. Ce qui manque alors pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène, ce sont des chiffres, des données et des publications. S’ils ne viendront que plus tard, le système « Covicare» mis en place aux HUG permet aux médecins de premier recours d’être parmi les premiers à se rendre compte par eux-mêmes qu’il se passe quelque chose : tous les malades atteints de formes bénignes du Covid-19 ne se rétablissent pas en quelques jours, voire en quelques semaines comme ils s’y attendaient initialement.

C’est à travers le prisme des médecins du Service de premier recours des HUG que nous allons voir comment le syndrome post-Covid est venu donner un coup d’accélérateur vers une médecine moins verticale et davantage à l’écoute des patients.

La prise de conscience médicale aux HUG

Le Pr Idriss Guessous, chef de la Division de médecine de premier recours aux HUG, se rappelle: « En mars-avril 2020, nous manquions de matériel pour tester des patients sans cesse plus nombreux et nous sommes passés du massive testing au massive caring. Pour cela il a fallu être ingénieux, puisqu’il s’agissait de suivre des centaines de milliers de patients! Covicare nous permettait, chaque jour, d’envoyer un questionnaire aux patients testés positifs. Si un problème était identifié, si les symptômes augmentaient, nous proposions un entretien téléphonique. Et, si cela était indiqué, une téléconsultation. Cette informatisation des données et ce suivi des patients de jour en jour et de semaine en semaine nous ont permis de détecter les premiers signaux du Covid long. À ce moment-là, nous nous sommes rendu compte que certains d’entre eux rapportaient, après dix à quinze jours, voire après trente jours, des symptômes qui n’étaient pas présents avant l’infection.»

Olivia Braillard, médecin spécialiste en médecine interne générale au Service de médecine de premier recours des HUG, était dans l’œil du cyclone: « Lorsque nous appelions les patients testés positifs au Covid en ambulatoire aux HUG, beaucoup nous parlaient de leur quotidien et de leurs peurs parce que les symptômes persistaient. Les appels duraient au moins vingt minutes. Il y avait un vrai besoin d’être écouté et soutenu et une recherche de solutions pragmatiques.» La Dre Braillard poursuit: «Nous nous sommes dit: “Il y a quelque chose qui se passe”. Nous avons eu besoin de preuves. En appelant les patients, nous avons pris conscience de l’ampleur du phénomène. Les chiffres sur les symptômes persistants étaient énormes. Et ce n’était que la partie émergée de l’iceberg.»

La Dre Mayssam Nehme, cheffe de clinique au Service de médecine de premier recours des HUG, abonde: «Pour nous, c’était impossible de nier l’existence de symptômes persistants: il n’y avait pas un tiers des patients qui inventaient! Nous n’avons pas le droit de dire «ça n’existe pas» uniquement parce qu’on ne sait pas ou que l’on manque de connaissances.»

À partir de là, la tâche des médecins est devenue double. D’une part, chiffrer l’ampleur du phénomène, le décrire, l’analyser et amener à une reconnaissance de ces symptômes persistants au sein d’une communauté médicale dubitative. Et, d’autre part, aider des patients démunis face à un syndrome dont on ne connaissait rien.

Publier pour faire exister

«Nous avons souhaité publier dans des revues scientifiques dès avril-mai 2020 en nous disant que le plus tôt cela serait fait, le plus tôt les professionnels qui ont besoin de données solides et locales pourraient prendre conscience du phénomène », explique le Pr Guessous. Le temps de recueillir les premières données, de les analyser, d’écrire et de soumettre à un comité de lecture, les premiers articles sont sortis à l’automne 2020. «Nous avons également voulu publier rapidement des guidelines pour la prise en charge des patients atteints d’un syndrome post-Covid à destination des professionnels 

«Depuis le début de la pandémie de Covid, nous traversons, en tant que médecins, une situation inédite. Nous devons accepter que nos connaissances soient limitées.»

de santé, qui étaient souvent désemparés.» Mais, contrairement à des maladies ou des syndromes dont les spécialistes disposent déjà de données structurées et d’éléments diagnostics validés, il a fallu partir de rien. Enfin, pas de rien… parce que les malades et leurs plaintes étaient bel et bien là et ils sont devenus les informateurs principaux pour des médecins qui avaient tout à apprendre. «Seul le patient peut nous dire ce qu’il ressent, ce qu’il éprouve avant, pendant et après le Covid-19 », explique le Pr Guessous. Afin d’assurer une certaine rigueur méthodologique, seules les personnes dont l’infection au SARS-CoV-2 avait été objectivée par un test PCR ont été retenues pour constituer des panels.

La Dre Lamyae Benzakour, médecin adjointe responsable de la psychiatrie de liaison aux HUG, résume la situation: «Depuis le début de la pandémie de Covid, nous traversons, en tant que médecins, une situation inédite. Nous devons accepter que nos connaissances soient limitées. C’est vraiment une autre manière de travailler où, plus que jamais, nous devons écouter les patients et leur expérience. Dans ce changement de paradigme, nous ne sommes plus des «sachants».» Le Pr Idriss Guessous va plus loin: «La considération du Covid long prend du temps. Il est nécessaire de tendre l’oreille et de faire de l’evidence creating medicine en plus de l’evidence based medicine. Nous n’avons pas d’autres choix que d’écouter les patients. Tout cela est totalement nouveau et il est nécessaire de prendre acte avec respect de toutes les plaintes des patients, de tous leurs symptômes.»

Des médecins devenus des accompagnants

En parallèle à l’écoute et à la prise d’informations auprès des patients pour publier et faire reconnaître le syndrome post-Covid, il a fallu évidemment prendre en charge ces personnes qui se retrouvaient dans un certain désarroi, sinon un état d’angoisse liés à l’errance diagnostique ainsi qu’au manque de reconnaissance des proches. «Les personnes auparavant très actives remarquent un vrai delta avant/après. Cela crée de vraies angoisses», note la Dre Nehme. C’est dans ce cadre que sont nées à l’automne 2020 les consultations post-Covid aux HUG. Chaque médecin que nous avons rencontré garde un souvenir très net du premier patient qu’il a reçu dans ce contexte et témoigne du grand besoin d’être écouté et pris au sérieux. « Le premier patient que j’ai vu dans ce cadre était simplement venu pour me dire “le Covid long, ça existe et j’ai vraiment galéré”», se souvient la Dre Nehme. La Dre Benzakour se rappelle également d’une certaine forme de dénégation de la réalité des symptômes par les patients eux-mêmes: «Ma première patiente avait 47 ans, occupait un poste à responsabilité et avait toujours été active. Elle restait essoufflée, souffrait de troubles cognitifs et traversait un épisode dépressif, le tout dans un certain déni. J’ai dû lui prescrire un arrêt de travail.»

Même si les médecins sont devenus alors, comme l’explique la Dre Braillard, «non plus des sauveurs mais des accompagnants, sinon des coachs », qui doutent et tâtonnent, ces consultations ont immédiatement rempli leur rôle de réassurance envers les patients. Le Pr Guessous note: «C’est difficile d’aller mal et c’est encore plus difficile quand on doit convaincre les autres que l’on va mal. Les patients savent qu’ici ils n’ont pas à nous convaincre. Même si nous ne savons pas tout, loin de là, cela les aide déjà beaucoup quand on leur dit que l’évolution est favorable avec le temps.» Petit à petit, en restant toujours à l’écoute, à la manière de « cochercheurs » – expression que nous empruntons à la Dre Braillard –, certains détails pouvaient faire toute la différence. L’experte insiste d’ailleurs sur le fait qu’une part des conseils donnés aux patients provient d’autres patients: « Nous avons pu amener en consultation ce que nous avons appris des autres patients. L’humilité était fondamentale car nous avions peu de connaissances à apporter.» C’est notamment le cas des exercices d’autoévaluation de la fatigue à travers des questionnaires. Le Pr Guessous explique: « La fatigue est quelque chose de subjectif: nous essayons de la mesurer à l’aide de questionnaires. Observer et objectiver les symptômes permet de voir les évolutions favorables et de créer un cercle vertueux.»

Au fur et à mesure de l’expérience acquise auprès des patients, les pratiques des médecins de la consultation post-Covid se perfectionnent. Par exemple, ils prescrivent moins d’actes d’imagerie:
« Nous avons de moins en moins besoin de prescrire des scanners ou des IRM, rapporte la Dre Braillard. Nous les réservons aux cas où il existe un vrai besoin de diagnostic différentiel. Même s’ils sont souvent souhaités par les patients, ils sont, dans bien des cas, inutiles et insuffisants pour mettre en évidence ce que l’on recherche – une IRM ne permet par exemple pas d’objectiver un problème fonctionnel.»
Reste que pour en arriver là, il faut aussi pouvoir prendre le temps d’expliquer et  d’offrir aux  patients  d’autres voies de reconnaissance de leurs troubles. « Chez les patients, le besoin d’examen est une réponse au manque de reconnaissance de leur maladie et à leur besoin de réponses et de compréhension», explique la médecin. Du temps – les consultations durent a minima trente minutes mais souvent davantage –, de l’écoute ainsi qu’une bonne dose de respect et d’informations objectives comblent en général ce besoin légitime.

Corinne est suivie aux HUG. Elle témoigne de l’écoute et de la bienveillance dont elle a été l’objet. «Tout au long de la consultation, j’attendais un “oui, mais”. Il n’est jamais venu! J’apprécie vraiment d’avoir face à moi des médecins qui reconnaissent quand ils ne savent pas quelque chose et qui font preuve d’une grande humilité. Nous sommes vraiment considérés comme des patients partenaires qui participent à la coconstruction des connaissances sur le syndrome post-Covid. » Une considération qui compte beaucoup pour des patients qui, comme Corinne, souffrent depuis des mois et dont le moral et l’estime de soi en pâtissent grandement.

Du côté des médecins travaillant à la division de médecine de premier recours, cela demande aussi une certaine expertise qui n’est pas une simple illusion de maîtrise basée sur l’empirisme. Ainsi, ils se rassemblent tous les quinze jours pour un «Coviboard», une séance où ils échangent sur les dernières données de la science en matière de syndrome post-Covid.
Toutefois, ne nous leurrons pas. Si ces consultations constituent une aide précieuse, elles ne sont pas une panacée et le suivi est psychologiquement difficile tant pour les malades que pour les soignants. La Dre Braillard explique: «Les patients se découragent notamment du fait d’une évolution en dents de scie qui ressemble beaucoup au syndrome de fatigue chronique.» Elle ajoute: «Tous les médecins ne sont pas faits pour ce type de consultation, cela demande une très grande qualité d’écoute et c’est souvent très difficile humainement.» Le Pr Guessous confirme: «Pour nous, c’est émotionnellement très lourd quand un patient semble aller mieux, que nous disons au revoir, puis qu’il rechute et revient en consultation.» En outre, il existe des luttes intestines pour améliorer toujours plus la qualité du service rendu aux patients: «Nous essayons en interne d’augmenter la dotation de médecins car la prise en charge des patients atteints de syndrome post-Covid nécessite des médecins expérimentés et avancés qui maîtrisent bien le sujet et qui sont en mesure de gérer la situation quand il n’y a pas une seule solution», signale le chef de la Division de médecine de premier recours.

Un accompagnement numérique

Toujours pour accompagner les patients, et dans la continuité du suivi apporté par Covicare, la plateforme «Rafael» a été lancée fin 2020. Le Pr Guessous raconte la genèse du projet: « Un jour, un patient dénommé Rafael m’a appelé. Il était un peu perdu. Il avait eu le Covid en mars 2020, une forme assez sévère qui l’avait mis à plat trois semaines durant sans pour autant qu’il n’ait besoin d’être hospitalisé. Il avait gardé des troubles d’induction du sommeil qui n’étaient pas présents avant. Son médecin lui a parlé d’angoisses et de stress et a commencé à lui prescrire des somnifères qui l’ont cassé, sans que cela n’améliore son sommeil. Puis, il lui a prescrit des antidépresseurs qui n’arrangeaient rien non plus. Il a alors consulté un spécialiste du sommeil qui lui a affirmé que le Covid n’était pas responsable des troubles du sommeil. De notre côté, ce type de trouble nous remontait via Covicare. Nous avons donc souhaité créer une plateforme où les patients pouvaient exprimer leurs symptômes sans jugement et trouver des réponses. Nous avons cherché des financements et avons pu lancer Rafael fin 2020.» L’un des objectifs de cette initiative est résumé par Franck Schneider, chef du Service de communication digitale aux HUG: «L’hôpital sait qu’il a besoin des compétences et des expériences des patients. Nous visons à créer un ensemble de contacts humains et (pas si) virtuels. Les deux permettent de faire passer des émotions.»

Au dispositif numérique, dont la plateforme Rafael est le point central, se greffent également des webinaires mensuels et thématisés durant lesquels les patients peuvent poser en direct des questions aux différents intervenants. «Nous nous appuyons sur des outils de digitalisation des événements auxquels les gens se sont habitués durant la crise sanitaire; 300 à 400 personnes sont présentes à chaque fois.» Des chiffres qui révèlent un grand besoin d’information de la part de patients qui apprécient que l’on considère leurs compétences de compréhension. «Nous avons souvent affaire à des patients jeunes avec une bonne littératie en santé et en numérique», relève la Dre Braillard.

Récits de Covid long

La jeune docteure, qui a fait ses classes dans le domaine de l’éducation thérapeutique du patient, porte de son côté un projet aux confins de la médecine et de l’art, visant tout autant à envisager le rôle thérapeutique du récit qu’à participer à la reconnaissance collective du syndrome post-Covid. Son nom : les récits du post-Covid. Elle nous en explique les origines: «Les patients ne se sentaient pas écoutés ni pris au sérieux, ils avaient besoin d’un espace bienveillant pour poser leur histoire. Ils arrivaient en consultation en victimes (victimes de la maladie, du système social, du système de soins) et avaient besoin de reprendre le pouvoir pour se sentir acteurs, pour se réapproprier leur histoire.» Elle a alors échangé avec une collègue pédagogue qui travaille sur le récit comme outil de formation. C’est alors qu’a émergé un projet pour redonner la parole aux patients, structurer et scénariser cette parole. « Nous avons réfléchi à la raison pour laquelle les patients ne sont pas écoutés, pourquoi ils ne reçoivent pas de marques de sympathie, à l’instar des patients atteints de cancer par exemple. Une des réponses est peut-être à trouver dans le manque de récit collectif.»

En effet, comment trouver du soutien lorsque l’on souffre d’un syndrome dont la plupart n’ont jamais fait l’expérience de l’existence soit par soi-même, soit par des proches? La Dre Braillard développe:

«L’idée est donc de restituer leur vécu dans un récit collectif sous la forme d’une œuvre artistique. Nous avons sollicité un artiste pour qu’il réalise une sculpture métallique de forme humaine dotée d’une sorte de boîte à musique contenant les récits des participants. Celle-ci s’active par le contact. Chaque participant au projet a réécrit un morceau de son témoignage et l’a enregistré avec l’aide d’un conteur, puis un musicien a conçu un habillage sonore.»

Durant les sessions de partage, de mise en mots et de réécriture, les médecins sont restés en retrait: «Il ne s’agit pas de consultations et ce ne sont pas les médecins qui recueillent les témoignages mais des formateurs d’adultes. Nous sommes restés distants et avons adopté une posture d’observateurs. Nous ne voulions pas biaiser ces récits adressés en premier lieu aux pairs.» Dans ce contexte de recueil de la parole, encadré par des professionnels, très structuré et organisé, les patients laissent leurs récits s’épanouir : « Il s’agit d’animation bien plus que d’accueil. C’est construit et, en ce sens, très différent de ce qui se passe dans les groupes de pairs sur les réseaux sociaux. Il y a un cadre qui repose sur le non-jugement, la confidentialité, le respect mutuel et où les temps de parole sont respectés. Alors, les personnes osent dire et des choses très intimes ressortent», explique la Dre Braillard.

L’intérêt de ce projet est aussi de jeter un regard scientifique sur les bénéfices de ce type particulier de groupe de parole pour les malades. La médecin explique: «Il y a aussi une dimension scientifique dans cette démarche: nous avons fait passer des questionnaires et nous ferons des entretiens. La première chose qui a fait du bien aux patients a été de rencontrer des personnes qui vivent la même chose qu’eux. De plus, construire un récit, c’est faire un bilan, qui permet de faire ressortir le positif: rencontres, reconversion, redéfinition de ses objectifs… C’est en somme une mise en lumière de leur propre chemin.» Ce projet apporte aussi quelque chose de notable: il s’agit d’une intervention non médicale proposée dans le cadre hospitalier et approuvée par des médecins.

«Les patients ne se sentaient pas écoutés ni pris au sérieux, ils avaient besoin d’un espace bienveillant pour poser leur histoire.»

Coordonner les soins dans une approche intégrative

Cela nous amène à une vraie requête de la part des patients atteints de syndrome post-Covid et dont le corps médical doit prendre acte: l’intégration de thérapeutiques complémentaires au sein de la prise en charge conventionnelle. «Les patients éprouvent les bénéfices de ce type de pratique dans le cas de maladies chroniques, ils ont envie de trouver des choses pour les aider », explique la Dre Nehme. Au sein de la Division de médecine de premier recours des HUG, le mot d’ordre est à l’ouverture et à l’inclusion. «Lorsqu’il n’y a pas de solution en médecine conventionnelle, il y a une place pour les médecines complémentaires », explique le Pr Guessous. « Nous devons rester ouverts. Qui sommes-nous pour dire que telle ou telle méthode que nous ne connaissons souvent pas ou mal n’a pas d’efficacité?» Alors, en consultation post-Covid, il n’est pas question de dissuader les personnes qui ont déjà recours à des pratiques comme l’acupuncture, le shiatsu ou l’ostéopathie. «Si la personne fait déjà appel à des médecines complémentaires qui lui font du bien, on lui dit de continuer», tranche la Dre Nehme. Elle ajoute: « C’est important d’être soutenant envers le patient, de mesurer l’impact social/ familial de la maladie, d’ouvrir la parole, d’avoir une vision d’ensemble et d’être ouvert et à l’écoute. C’est aussi une manière de diminuer les risques. » En effet, l’a priori est positif : « Je suis persuadée que ces méthodes sont bénéfiques mais que nous sommes très mauvais pour les utiliser», explique la Dre Braillard. Tous ont bien conscience également du risque de certaines pratiques. «Nous gardons un esprit de médecin et un esprit critique », signale la Dre Nehme. «Des cliniques opportunistes ont voulu tirer bénéfice du désarroi de certains patients atteints du Covid long en proposant des choses potentiellement dangereuses comme l’aphérèse ou des régimes trop stricts. Il faut éviter des effets délétères. Nous disons aux patients: “Si vous avez envie de tester quelque chose, parlez-en avec moi, je pourrai évaluer les risques”. On essaie aussi d’orienter les gens vers le bon cabinet.» La Dre Benzakour complète: «Je pense qu’il faut vraiment faire du cas par cas. Par exemple, j’invite à une certaine vigilance quant à l’hypnose clinique pour traiter les douleurs post-Covid qui, en cas de trouble de stress post-traumatique, peut provoquer des reviviscences et des états de dissociation. Il en va de même pour la physiothérapie ou l’ostéopathie. Il faut que les thérapeutes puissent prendre acte des différents bilans des autres praticiens et qu’il y ait une grande communication entre eux afin d’offrir une prise en charge globale coordonnée du patient.»

Cette communication entre les différents partenaires est aujourd’hui centrale dans la prise en charge des patients atteints d’un syndrome post-Covid. La Dre Braillard explique ainsi que « les professionnels de santé et les thérapeutes doivent pouvoir travailler ensemble. Nous devrions être capables de mieux orienter les patients. Nous avons besoin de créer une zone de rencontre entre professionnels de santé, thérapeutes et patients.» La Dre Nehme résume: « Il y a besoin de réglementation, de compétences et de connaissances.» Celle qui a été cheffe de projet du dispositif genevois de la coordination des soins de la personne âgée fragile (COGERIA) travaille aujourd’hui sur un projet de recherche interrogeant les modèles pour coordonner les soins entre la médecine conventionnelle et les pratiques alternatives. De plus, afin d’avoir une vision plus précise des choses, elle mène une étude populationnelle pour observer qui a recours aux médecines alternatives pour le Covid long. Assurément, le syndrome post-Covid aura secoué le monde médical et l’expérience emmagasinée servira peut-être à toutes les personnes atteintes de maladies chroniques.