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Ce qu'en dit la science... ceci n’est pas un médicament, mais il peut vous aider

Des recherches montrent que l’efficacité du placebo ouvert offre des perspectives thérapeutiques pour la pratique clinique. Interview de la Pre Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

On parle de « placebo ouvert » lorsque le patient reçoit des comprimés qu’il sait dépourvus de substances actives, puisque le médecin l’en a informé. Il s’agit généralement de pastilles de sucre. De récentes études montrent, de manière étonnante, que l’effet placebo se manifeste également dans ce cas de figure.

Vous menez actuellement une recherche sur le placebo ouvert…

Pre Chantal Berna Renella : Oui, nous examinons les effets de l’hypnose et du placebo ouvert sur les douleurs neuropathiques. On entend souvent dire que l’hypnose ne serait qu’une manière de recruter l’effet placebo.
Nous avons donc décidé d’utiliser un modèle de comparaison de l’hypnose à un placebo ouvert. Cette étude est encore en cours, nous espérons pouvoir partager des résultats d’ici 2023. 

Comment faites-vous pour obtenir l’adhésion des patients?

Les comprimés portent l’inscription «placebo», nous sommes donc transparents. Il est primordial d’expliquer aux patients plusieurs choses: 1) les mécanismes psychobiologiques qui sous-tendent l’effet placebo, en s’appuyant sur des études pour souligner que cet effet est puissant, 2) les mécanismes de conditionnement qui peuvent renforcer la réponse automatique et inconsciente du placebo, 3) l’absence de besoin de croyance et l’invitation à avoir une perspective ouverte et 4) l’importance de respecter un rituel de prise régulière. Enfin, le protocole d’information comprend le visionnage d’une vidéo montrant une patiente qui témoigne de son expérience positive avec un placebo pour soigner ses douleurs. En ce qui concerne l’hypnose, nous procédons d’une manière semblable pour expliquer les tenants et les aboutissants de la méthode.

Il doit exister des gens incrédules,  comment faites-vous avec eux?

Nous leur présentons les résultats de nombreuses études pour leur faire comprendre que l’effet placebo n’est pas un phénomène anecdotique. Nous essayons de nous étonner, en même temps qu’eux, des conclusions de ces recherches. Le simple fait de prendre un comprimé peut déclencher une cascade de réactions dans le système nerveux central, avec notamment, dans un contexte de douleurs, une production d’endorphines. En résumé, notre cerveau met spontanément en place un certain nombre de processus guérisseurs. L’effet placebo n’a donc rien à voir avec la méthode Coué ou une réponse «donnée pour faire plaisir» au médecin!

Quel est l’intérêt du placebo ouvert  par rapport au placebo administré  à l’insu du patient?

L’éthique actuelle propose d’impliquer les patients dans le choix des traitements offerts, de les informer en toute transparence et de respecter leur autonomie. L’efficacité du placebo administré à l’insu du patient repose sur un modèle paternaliste et sur la déférence de l’individu face au corps soignant – ce qui ne répond pas aux standards de déontologie actuels. Nous assistons à une évolution des mentalités: les patients qui sont de plus en plus informés et volontaires à devenir acteurs de leur santé et donc désireux de comprendre et participer aux décisions. Leur autonomisation et leurs connaissances croissantes font apparaître de nouvelles perspectives pour l’utilisation du placebo ouvert. Par exemple, l’une de mes patientes s’est procuré par elle-même des pilules placebo pour soulager ses douleurs.

Je pense que cette piste, soutenue par des études, va effleurer de plus en plus de patients. Malheureusement, pour l’instant, mener une telle initiative en clinique reste assez compliquée. Les fournisseurs sont rares, c’est assez cher – 15 ou 20 francs pour une centaine de comprimés – et ce n’est pas remboursé par l’assurance maladie de base.

Quelles sont les indications  envisageables dans le futur?

Nous disposons déjà de quelques études de qualité pour ce qui concerne par exemple le traitement du syndrome du côlon irritable, des lombalgies chroniques, de la fatigue en oncologie ou de la dépression. 

– Placebo ouvert dans la lombalgie chronique 

Cet essai randomisé contrôlé visait à déterminer si les effets du placebo ouvert pouvaient être exploités contre la lombalgie chronique, en complément au traitement habituel. L’intensité de la douleur a été évaluée au moyen d’échelles allant de 0 à 10. L’impact fonctionnel des lombalgies a également été mesuré à l’aide d’un questionnaire.

Comparativement au traitement habituel, le placebo ouvert a induit une plus forte diminution de la douleur, avec des tailles d’effet modérées à importantes (1,5 dans le groupe placebo ouvert, contre 0,2 dans le groupe de contrôle). La réduction de l’invalidité était également plus importante (2,9% dans le groupe placebo ouvert, contre 0% dans le groupe sous traitement classique). Enfin, le groupe sous traitement classique a montré une réduction significative de la douleur et de l’invalidité après le passage au placebo ouvert. Un suivi sur cinq ans a été effectué pour évaluer la persistance des résultats dans le temps et des réductions significatives de la douleur et de l’incapacité ont été constatées à distance dans ce groupe traité par placebo ouvert.

– Placebo ouvert chez les survivants du cancer: réduction de la fatigue

Cet essai randomisé contrôlé incluait 40 survivants du cancer, âgés en moyenne de 47 ans et majoritairement de sexe féminin. Ils ont été répartis au hasard entre deux groupes, placebo ouvert et traitement habituel. Les critères d’évaluation comprenaient essentiellement la fatigue, l’humeur et la qualité de vie. Au bout de trois semaines, on a observé une amélioration signifi- cative de la fatigue dans le groupe sous placebo ouvert, ce qui n’était pas le cas dans le groupe contrôle. Cette étude démontre la faisabilité d’un traitement de la fatigue par placebo ouvert chez des survivants du cancer. Cela reste une petite étude à valider dans un plus large échantillon.

 Placebo ouvert vs placebo en double aveugle pour le  traitement du côlon irritable

Cet essai clinique randomisé visait deux objectifs: premièrement, déterminer si le placebo ouvert est plus efficace contre le syndrome du côlon irritable qu’un contrôle sans traitement et, deuxièmement, comparer l’efficacité du placebo ouvert par rapport au placebo en double aveugle. En l’occurrence, l’amélioration moyenne des symptômes à six semaines était significativement plus importante dans le groupe sous placebo ouvert que dans le groupe contrôle.